Je vous parle de gaz de schiste, je vous parle des avions de Saint-Hubert, je vous parle d'éoliennes, et vous me répondez quoi? Vous me répondez que je suis un foutu écolo. Que vous me preniez pour un écolo ne me ferait pas un pli si, ce faisant, vous ne passiez pas à côté de mon propos.

Je ne suis pas dans l'écologie, qui est une science savante, compliquée, pleine de chiffres. Je suis dans le droit des individus à la sainte paix, et aussi dans leur droit d'être entendus et justement dédommagés quand la sainte paix leur est niée. Parfois pour de très bonnes raisons. Parfois au nom des intérêts supérieurs de la nation.

- Monsieur, nous allons construire ici une station de pompage pour le futur gazoduc.

- Très bien. Vous me devez 200 000$. C'est ce que je vais perdre en vendant ma maison.

Revenons à l'écologie deux secondes. Je ne suis pas écologiste. Je ne suis pas vert. Même pas un petit peu. J'ai l'air de m'en vanter? Je le dis pourtant sur le même ton que je vous dirais je ne suis pas polonais. Ça ne me dérangerait pas d'être polonais - moins que d'être canadien, en fait -, mais je ne le suis pas.

J'écoute les grands débats écologiques - le réchauffement, l'eau, les problèmes énergétiques - sans état d'âme particulier. Un seul dossier me rejoint: les pesticides. J'ai cette inquiétude que les pesticides fuckent sans doute, fuckent forcément notre système (pas seulement immunitaire). De là la prolifération de certains cancers. Sans parler de l'asthme et du diabète, en croissance constante.

Plus que le sujet lui-même, m'interpelle sa dimension culturelle: on vit dans une société hystérique pour tout ce qui touche à la sécurité - faites ceci, pas cela; mangez ceci, pas cela; mettez votre casque; ne tournez pas à droite au feu rouge... Mais voyez comme c'est curieux: pour les pesticides, qui nous font sûrement crever à petites doses, on se dépêche d'enterrer les rapports de l'OMS pour laisser les biologistes de Monsanto nous rassurer: mais non, y a aucun danger.

J'ai de l'écologie l'image d'un wagon que tire la locomotive du progrès. Quand l'actualité est au désastre comme dans le golfe du Mexique cet été, le wagon est accroché immédiatement derrière la locomotive. En d'autres temps plus sereins, le wagon écologie ferme la marche du train. Mais qu'importe, la locomotive du progrès file pleine vapeur.

Je ne suis pas écologiste. Je ne remets pas en question les dommages causés par le progrès. Je remets en question le progrès lui-même, sa nature, sa culture. Cette question: le progrès, qui devrait donner un sens à notre existence, ne s'est-il pas substitué à elle? Le progrès n'est-il pas devenu notre existence elle-même? La locomotive roule-t-elle pour rouler et pour la seule griserie qu'apporte la vitesse?

Bref, je ne suis pas écologiste. Quand j'écris sur le gaz de schiste, ou sur le bruit que font les avions des écoles de pilotage à l'aéroport de Saint-Hubert, ou sur les éoliennes, je ne vous parle pas d'environnement. Je vous parle de gens dérangés par les foreuses, par les avions, par des éoliennes-tour Eiffel dans leur jardin.

Un monsieur achète une maison, la restaure, retape la grange, aménage le terrain. On est dans le bout de Rawdon. Il vit là heureux avec sa femme, ses deux enfants. À moins de 1 km, un minuscule aéroport privé, une seule piste en terre battue. Ça ne dérange nullement, jusqu'au moment où une école de parachutisme s'y installe sans avertissement, sans la politesse de faire le tour des voisins. C'est le premier point: le droit sacré de faire chier au nom de la business, si petite soit-elle.

L'avion décolle, tourne en rond, lâche ses passagers, qui sautent en criant leur bonheur, yahouuu! L'avion atterrit. Redécolle aussitôt. La journée vrombit. Comprenez-vous ce que cela signifie? La journée vrombit: elle ne s'écoule pas en temps, mais en bruit. Le monsieur et sa famille ont passé l'été enfermés dans la maison. À prier le Bon Dieu pour qu'il pleuve, à rêver de missiles sol-air.

Je vous l'ai déjà dit: quelqu'un vous vole votre auto, l'assurance rembourse. Quelqu'un vous frappe, vous le poursuivez. Mais quelqu'un vous vole vos biens les plus vitaux - votre sérénité, l'air que vous respirez, le silence qui vous nourrit, ces instants de plénitude qui font que la vie vaut d'être vécue -, quelqu'un fait en sorte que votre vie devient un mal de dents, et tout le monde s'en fout.

C'est de ça qu'il est question dans mes chroniques sur l'aéroport de Saint-Hubert, sur le gaz de schiste, sur les éoliennes.

Vous parlez avec votre blonde, il y a ce bruit et les yahouu! des bienheureux qui sautent au-dessus de votre  tête. Vous mangez, il y a ce bruit. Vous baisez, il y a ce bruit. Mais le pire, le point de rupture de votre équilibre mental: votre troisième voisin vous répond, quand vous allez le voir pour lui faire signer la pétition: moi, ça me dérange pas, je l'entends pas.

Un matin, 50 camions dans votre cour et une foreuse déjà en action. Qu'est-ce vous faites là? On cherche du gaz. Ah bon.

Tandis que le gouvernement accorde de formidables avantages fiscaux aux sociétés gazières, toi, tu viens de perdre 200 000$ sur ta maison, drette là. Si le gaz de schiste est cette formidable manne qui va enrichir le Québec, pourquoi cela devrait-il te coûter 200 000$ de ta poche?

J'avoue avoir une idée derrière la tête. En revenant souvent sur le bruit des petits avions de Saint-Hubert, je me dis que je vais finir par piquer la curiosité d'un ministre, qui se décidera à aller faire un tour à Saint-Hubert un samedi ou un dimanche après-midi.

À propos, de quoi a l'air votre cour, madame Normandeau? Vue sur la mer? Y a pas de gaz de schiste dans votre coin, toujours? Vous, monsieur le ministre de l'Environnement, toujours pas d'éolienne dans Mont-Royal? Ni d'école de parachutisme? À la bonne heure.