D'après vous, quel a été l'événement majeur qui a marqué la semaine qui se termine?

Les témoignages de MM. Fava, Rondeau et Charest à la commission Bastarache? Le rejet, aux Communes, du projet de loi des conservateurs visant à abolir l'obligation d'enregistrer les armes d'épaule? Le recul du gouvernement Charest sur le projet d'un ticket modérateur pour financer les soins de santé? La démission du Directeur général des élections? La journée sans voitures? L'invraisemblable série d'accidents routiers causés par des jeunes abrutis ivres surtout de vitesse qui rendent les routes du Québec moins sûres que les chemins de traverse de l'Afghanistan? Le bonhomme carnaval en couverture du magazine Maclean's?

Je dirais, moi, le recul du gouvernement Charest sur le ticket modérateur -si l'on se rappelle bien la commotion que cela avait causé quand on nous en avait menacé- mais aussi par ce que ce recul nous dit de la politique et de la démocratie quand elle putasse avec l'électoralisme.

Mais le retrait du ticket modérateur n'est pas l'événement de la semaine. Loin s'en faut. L'événement de la semaine, c'est le premier match de la saison du Canadien, un match hors concours, les quatre buts accordés en 10 tirs par le gardien Carey Price et les huées qui s'ensuivirent.

On parlait de cela partout à Montréal jeudi. De bonne heure à la boucherie, au marché Jean-Talon, tout en emballant mes rognons de veau, le boucher (d'origine européenne!) croisait le fer avec un autre client, l'objet de leur amical différend: Carey Price. À la crêperie du même marché, j'enfournais ma crêpe au sucre, une dame, une DAME, me hèle: Carey Price, là... Et en fin d'après-midi, comme j'entrais à la librairie du Square, une voix venant de la terrasse du P'tit Bar voisin: vous ne trouvez pas cela un peu dément, monsieur le journaliste de Saint-Armand...

Quoi donc?

Carey Price.

Sur le chemin du retour dans mes terres, j'écoutais Radio-Canada, une émission en reprise, il y était question de Lady Gaga, je l'aime beaucoup, disait l'animatrice (je l'aurais parié), mais tout de même, regrettait-elle, cette robe en viande qu'elle portait l'autre jour, vous ne trouvez pas que...

Je ne trouve pas du tout, du tout, du tout, tapait du pied un invité très agité, je me suis dit qu'il allait sûrement la grafigner, je me suis dit aussi, bon, gaga pour gaga, j'aime autant aller écouter Ron-ron-ron Fournier à CKAC. Qui parlait de quoi?

Comment avez-vous deviné? Oui, de Carey Price.

Il disait qu'il avait honte des gens qui ont hué Carey Price. Honte d'être Québécois, ces Québécois qui ne méritent pas leur équipe de hockey. A-t-il dit aussi qu'il songeait à déménager en Nouvelle-Zélande tant il avait honte? Je crois. Ce qu'il ignore probablement, c'est que les All Blacks, ce club de rugby que les Néo-Zélandais vénèrent 10 fois plus que les Québécois vénèrent le Canadien, les All Blacks viennent de se faire planter 137 à 2, en match amical, par les Binious de Aberystwyth en Pays de Galles, et certains journalistes néo-zélandais ont tellement honte qu'ils songent sérieusement à s'exiler au Québec.

Ce qui m'a amusé toute la journée jeudi, c'est que l'événement est devenu bien plus important encore par tous les gens qui disaient qu'il ne l'était pas du tout important! Ce qu'on entendait jeudi, ce n'est pas: Carey Price a été pourri. Ce qu'on entendait, c'était un douloureux étonnement: mais comment est-ce possible pour un premier match, hors concours? Comment nous retrouvons-nous à parler de cela? Et bien sûr, plus on se demandait pourquoi on en parlait... plus on en parlait! Avec délices. Et si longuement qu'à la fin il ne restait plus de temps pour parler de Bastarache. Tant pis.

Que ce soit au Québec ou en Nouvelle-Zélande, ou en Italie ou au Brésil, ou au Luxembourg, partout, le sport est et sera toujours plus important que la commission Bastarache, que le financement des soins de santé, que le registre des armes à feu.

La formule consacrée dit que le sport est une métaphore de la vie, un territoire où il se passe des choses essentielles comme dans la vie, mais une vie qui serait rêvée, sans conséquence. Tiens par exemple, la petite mort de la défaite, on meurt vraiment, mais le lendemain matin on est toujours vivant. Et la bienheureuse victoire, si rare dans la vraie vie, et qui fait tant de bien à l'âme même si ce n'est que pour un instant.

La vie rêvée, disais-je.

Vous dites? C'est moins drôle quand tu te réveilles dans la réalité et que t'attendent les plates vicissitudes du quotidien?

Oui, mais il y a un autre match demain.

HICHAM - Je sortais de la libraire où, outre quelques nouveautés de la rentrée, je venais de racheter ce tout petit livre magnifique que je n'arrête pas d'offrir, Dialogues en ruine de feu Laurent-Michel Vacher, opuscule qu'il a écrit à la mémoire de son ami (qui a été un petit peu le mien aussi) Jean Papineau.

Je sortais de la librairie pour aller sur la même rue, mais beaucoup plus haut, à la boutique Endurance où Hicham El Guerrouj, de passage au Québec, signait des autographes.

Je me suis approché de la table. Je lui ai dit, monsieur, je vous ai vu à Athènes gagner le 1500 et aussi le 5000, je vous ai vu courir à Edmonton, et à Paris, et à Sydney où vous étiez si triste, et à chaque fois je vous ai trouvé magnifique.

Il m'a demandé si j'étais un entraîneur, je lui dis non pas du tout. Et j'ai commencé à pleurer comme un con. Heureusement ça s'est arrêté avant que j'aie à renifler.

Il m'a écrit quelques mots en page de garde de ce petit livre que je n'arrête pas d'offrir, mais pas celui-là.