L'école secondaire Jean-Jacques Bertrand à Farnham, hier matin à 8 h. Je me suis invité au cours d'éthique et de religion remplacé hier matin par une «intervention sociale» du GRIS (1).

Un bénévole gai et une bénévole lesbienne allaient parler de leur homosexualité et répondre aux questions d'une trentaine d'élèves de secondaire 5, garçons et filles.

Robert, 42 ans, réalisateur à ARTV, raconte comment il a su qu'il était gai ou plutôt comment jusqu'à 19 ans il n'a pas voulu savoir qu'il l'était. Comment il l'a finalement dit à sa blonde du moment. Comment il l'a écrit à ses parents. Comment sa mère lui a servi le grand classique mélodramatique du coming-out: ah mon Dieu, me semble que je serais mieux morte.

Robert a précisé qu'il vivait depuis 21 ans avec le même amoureux, son mari en fait, ils se sont mariés. Il a fait circuler une photo de son mariage parmi les étudiants. C'est quétaine, je sais, s'excuse-t-il. Il ajoute qu'ils n'ont pas l'intention d'adopter des enfants.

Il livre son témoignage simplement, sans ostentation, l'intention pédagogique est claire: montrer la vie ordinaire d'un couple gai. Avez-vous des questions? N'importe quelle question?

À ses côtés, Marie-Ève, 30 ans, biologiste défroquée, de retour aux études en psycho, belle fille, on pense à Charlotte Gainsbourg, cette beauté-là, un peu dure, dépouillée. Elle aussi raconte comment elle a su qu'elle était lesbienne, elle avait 15 ans, elle était en train d'écrire une lettre à une amie avec laquelle elle jouait au soccer. À qui écris-tu, lui a demandé quelqu'un?

À un garçon, a-t-elle répondu. Ton petit ami? a insisté l'indiscret. Aussitôt qu'elle s'est retrouvée seule, Marie-Ève s'est mise à marcher de long en large, tout enfièvrée, pourquoi donc ai-je menti? Pourquoi ai-je dit que j'écrivais à un garçon? Et c'est sorti tout seul, comme un cri: je suis lesbienne. C'est ça, je suis lesbienne. Il lui faudra un an pour l'assumer, le confier à ses soeurs, à ses amies, à la psy de l'école, à sa mère qui l'a bien pris. Son père un peu moins, il mourra un an après en lui disant: je t'aime comme t'es. On en dit toujours trop, même à la fin.

Elle a parlé de sa blonde Française, elle a dit que des fois elle avait envie de l'embrasser dans la rue parce que l'autre venait de la faire rire et des fois aussi, quand ça arrivait, y'avait un épais qui disait une niaiserie. Voilà, je suis lesbienne, j'embrasse ma blonde sur la bouche dans la rue, avez-vous des questions? N'importe quelle question?

Pas de question, enfin si, trois ou quatre, toutes effroyablement anecdotiques, sans rapport vraiment avec «la chose».

Pour briser le silence qui s'en venait pesant, je leur ai raconté qu'il y a 30 ans j'avais signé une série sur les homosexuels, que, comme eux, je partais de très loin et c'est fou tout ce que j'avais appris. Il est vrai que j'avais posé beaucoup de questions, toutes les questions.

Ils n'ont pas saisi la balle au bond. À la fin, ils ont rempli un questionnaire. Comment te sentirais-tu si tu avais à faire équipe avec une lesbienne, un gai? Très à l'aise, à l'aise, mal à l'aise, très mal à l'aise? Faire du sport avec un gai, une lesbienne? Si ta soeur était lesbienne? Si ton frère était gai? Dans tes mots, que penses-tu de l'homosexualité?

Une majorité de commentaires convenus: je pense que l'homosexualité, c'est correct. Oui, je suis à l'aise avec les gais. À la question y a-t-il des gais dans ton entourage, père, mère, ami, voisin, collègue, au moins la moitié ont coché «cousin», à croire qu'il y a à Farnham un gai qui est le cousin, forcément très éloigné, de tous ces jeunes-là.

La semaine d'avant, ils avaient été moins prudents avec leur prof d'éthique et religion lors de la préparation à cette rencontre. Si je vous dis «homosexuel», leur avait-t-elle demandé, quel est le mot qui vous vient en premier? Une main s'est levée: anus, madame. Une autre main: yark! Une autre: cul! Une autre: suceux de graines.

D'où la très bonne idée de les placer, un lundi matin à 8 h, devant le suceux de graines en question. N'ont pas eu le courage de lui en parler? Étaient dans leurs tout petits souliers? Pas grave. Normal même. Pas sûr non plus que les ados que j'ai vus hier matin soient sortis de là mieux informés sur l'homosexualité. Mais assurément moins nonos sur la vie en général. Comme moi quand j'ai fait mon reportage sur les homos. Ces rencontres, en forme de pédagogie extrême, nous confrontent à la plus mauvaise part de nous-mêmes, nous font voir, sentir, toucher notre médiocrité, ne peuvent que nous élever au-dessus de notre petit fumier personnel.

La prof d'éthique, Nicole B., me racontait qu'il est arrivé qu'après ce genre de rencontre, le gai de sa classe se fasse encore insulter par le moron de sa classe, mais qu'une autre voix, parfois plusieurs autres voix, s'élevaient alors pour dire au moron: et si tu lui foutais la paix?

Et c'est sans parler du gamin terrorisé dans son placard, qui entend Robert raconter: «Bien sûr, j'ai pensé mourir, c'était le plus simple, comme cela personne ne saurait jamais que j'étais gai, mes parents n'auraient pas honte, mes amis non plus... et puis devinez quoi?

Et puis je suis tombé en amour.»

Pensez au petit coup de phare - l'amour - dans le placard tout noir.



(1) GRIS: Groupe de recherche et d'intervention sociale - www.gris.qc.ca - organisme pédagogique qui s'emploie à prévenir l'homophobie en milieu scolaire en démystifiant l'homosexualité.