Ma fille a appelé. Papa, n'oublie pas, c'est l'anniversaire de Loulou aujourd'hui. Cela ne m'embarrasse même plus qu'on soit obligé de me rappeler l'anniversaire de mes petits-enfants.

J'ai grandi à une époque qui célébrait le saint dont on portait le nom plutôt que les anniversaires de naissance. On me disait bonne fête à la Saint-Pierre... Je ne sais jamais pour l'anniversaire de mes enfants, de ma fiancée, de mes petits-enfants, mais je sais que votre oncle Germain aura 50 ans le 12 décembre parce que vous me l'avez écrit: Mon oncle Germain, qui vous lit depuis le cégep, aura 50 ans, cela lui ferait tellement plaisir que vous lui envoyiez un petit mot. Je m'exécute aussitôt, vous connaissez ma grande urbanité: Bon anniversaire, Germain.

Et quelque part en février, un matin, ma fiancée fera la baboune. Ah, merde, mon amour, j'ai encore oublié ton anniversaire! C'était hier? Aujourd'hui?

Je sais tout de même que ma mère est née un 2 décembre parce que c'est une date historique qu'on apprenait à l'école, quelque chose que Napoléon aurait fait un 2 décembre, ne me demandez pas quoi. Je sais aussi que mon père est né en 1897 parce cela m'impressionne. Hé! Mille huit cent quelque chose! Mon père - pas mon arrière-grand-père, mon père - est du même siècle que Napoléon, justement.

Bref, Loulou a eu 10 ans. Moi, 70 ce matin.

J'ai une photo de moi quelque part quand j'avais 10 ans. Une photo noir et blanc au contour dentelé. Au verso, une note au crayon: Pierre, 10 ans. La photo a été prise dans l'arrière-cour de la voisine parce que c'était plus beau que chez nous pour prendre ces photos, que ma mère envoyait en Italie. À droite de la photo, il y a une claie avec des rosiers grimpants. Les trois femmes qui m'ont élevé, mes deux soeurs et ma mère, sont adossées à la grille qui enclot la cour. Ma mère est la plus jolie des trois. Elle doit avoir 45 ans. Les trois m'enserrent, me retiennent dans le creux qu'elles forment derrière moi. Je suis maigre à faire peur et j'ai hâte d'aller jouer.

Rendu là, j'ai eu une idée. Une idée qui ne vous impressionnera pas, c'est quelque chose que vous faites spontanément. Moi, c'était la première fois: j'ai cliqué sur Google Maps. Imaginez ma stupéfaction: non seulement j'ai retrouvé facilement la ruelle où a été prise cette photo il y a 60 ans, mais j'ai retrouvé la maison de la voisine au toit de tuiles rouges, l'arrière-cour et son appentis, la verrière dont la porte est ouverte comme si quelqu'un venait d'entrer. La grille qui ceint la cour est celle de l'époque, je peux en jurer, on peut en compter les barreaux (23), auxquels je me suis pendu mille fois. La poignée aussi est d'époque...

Tu pleures? m'a dit ma fiancée.

Regarde, la poignée de la grille!

Quand j'ai mis mon doigt sur l'écran pour toucher la poignée, j'ai fait bouger l'image et la ruelle s'est prolongée vers les jardins où j'allais jouer.

Zazou, le chien, dans la cour, a aboyé. Roger et Gérard, mes petits amis, sont sortis de la ruelle en culotte courte. Gisèle, la cousine de Roger, était en salopette rouge. Une des bretelles tombait de son épaule. Il y avait aussi Paul Thévenin et le gros Romanance qui habitaient pas loin. Je pourrais vous montrer leur maison sur Google Maps, le toit dépasse.

J'ai fermé les yeux. J'ai passé la porte ouverte de la verrière pour entrer dans la pièce commune. Le placard-vaisselier est toujours à gauche, avant l'escalier qui mène aux chambres. Dans l'armoire, les assiettes ont des fleurs jaunes.

Le plus beau, le plus émouvant, surtout le plus juste de tous les livres que j'ai lus au cours de la dernière décennie (Les années, d'Annie Ernaux), commence ainsi: Toutes les images disparaîtront.

Ce matin, j'ai 70 ans et toutes les images apparaissent avec une précision effrayante, comme si j'allais mourir dans la minute qui vient.

DIVERGENCES - J'ai souvent dit ici mon amour du sport, précisé mille fois ma vision du sport, comment je l'envisage, la place qu'il devrait tenir et la place qu'il ne devrait pas, ma vision de l'olympisme aussi. Je n'ai pas toujours été lumineux? Je vais l'être aujourd'hui, enfin.

Ma vision du sport?

C'est tout simple. Exactement l'inverse de celle du président du Comité olympique canadien, M. Marcel Aubut qui se confiait samedi à Simon Drouin. Neuf mois après Vancouver, rapporte mon collègue, M. Aubut se désole de ne pas entendre parler davantage des athlètes qui y ont brillé. Il nous faut un produit qui se maintient 12 mois par année, martèle le précisent du COC.

Un produit, dit M. Aubut.

Je pense exactement le contraire: une culture.

ÉCRIRE - Bien sûr, j'applaudis le geste de Gil Courtemanche qui, par solidarité avec les journalistes en lock-out du Journal de Montréal, s'est retiré de la liste des finalistes du prix littéraire des librairies Archambault, propriétés de M. Péladeau. Comme j'avais applaudi sa chronique de la semaine précédente sur le même Péladeau.

Il reste que je ne comprends pas quand il dit: Si ce n'est pas le combat des écrivains d'appuyer 250 personnes en lock-out, alors il n'y a pas de combat pour les écrivains.

Dans quel romantisme échevelé le collaborateur du Devoir est-il allé chercher que la pratique de l'écriture porterait à un minimum de décence? Écrire n'élève même pas l'esprit, alors le coeur...