Dans Le Devoir de vendredi, un article sur un nouvel outil nommé Scolarius pour évaluer la lisibilité des textes. L'article, signé Stéphane Baillargeon, commence ainsi: Il faut une formation collégiale pour comprendre les textes des journaux du Québec, Le Devoir s'avérant un peu plus exigeant que la moyenne. Par contre, des études primaires suffisent pour suivre les chroniqueurs Stéphane Laporte ou Pierre Foglia de La Presse (ainsi que la critique Danielle Laurin du cahier Livres du Devoir).

J'en ai d'abord été insulté: si je comprends bien, je ne suis pas lu parce que je suis bon, je suis lu parce que vous êtes des débiles légers.

Seconde réaction, le déni (comme on dit pour le cancéreux): C'est pas vrai! ça s'peut pas!

Je vous niaise, je n'ai eu aucune réaction.

N'empêche que c'est con, comme outil. Pire que con: cela prétend mesurer la lisibilité d'un texte par sa seule morphologie. En effet, pour établir le degré de lisibilité d'un texte (et le lier de facto au degré de scolarité du lecteur, ça prend quand même un sacré culot!), cet outil Scolarius ne prend en compte que la longueur des mots, la longueur des phrases et la longueur des paragraphes. Ici, je pourrais facilement être très vulgaire, et même un peu exhibitionniste, mais je vais me retenir.

Il entre dans ma manière (et dans celle de bien d'autres!) de faire des phrases courtes, phrases courtes que, souventes fois, je vais isoler en paragraphe. Cela pour donner de l'air au texte autant que pour en détacher des éléments, une technique qui relève plus du graphisme que de l'écriture, qui me vient, en fait, de mon passage par la typographie.

Est-ce que cette cosmétique textuelle est garante d'une meilleure lisibilité? Du haut de mes 40 ans de chronique, je peux vous affirmer que cela n'a pas de rapport, pas une crisse de seconde. Je vous jure qu'il ne se passe pas une chronique sans que les bras me tombent devant un phénomène qui va en galopant: l'incapacité d'un nombre grandissant de lecteurs de surmonter la moindre complexité du texte, fût-il rédigé en phrases de quatre mots. Le moindre aparté qui se prolonge et les voilà mêlés. L'humour? Ça dépend lequel. Exemple, la chute de ma chronique de samedi: Les musulmans ne mangent pas de chocolat. Vous savez comment ils sont. Deux phrases courtes, des mots courts, j'aurais dû péter un score à l'échelle Scolarius, genre 250% de lisibilité. Venez-y voir! Je pourrais vous montrer une bonne douzaine d'universitaires qui m'ont adressé un courriel courroucé: où êtes-vous allé chercher que les musulmans ne mangent pas de chocolat?

Je ne me plains pas. Je ne vais pas non plus, à mon âge, faire de l'humour comme au festival du même nom pour faire rire tontaine-tonton. Mais vous me parlez de lisibilité, je vous en parle aussi. C'est un sujet qui me passionne forcément.

Parlant toujours de lisibilité, de lectorat, tout ça, j'en entends beaucoup déplorer la «perte du sens». À mon avis, le sens est moins menacé que le texte. Il y a chez le lecteur une avidité, une boulimie pour le sens. En même temps qu'une incapacité de plus en plus grande d'appréhender un texte autrement que comme support de sens ou d'information. Je peux écrire n'importe quoi dans mes chroniques (je savais que vous alliez dire ça!), mais je peux de moins en moins écrire sur rien. Je le fais pareil. Je ne vais pas, à mon âge, faire du sens comme on fait du foin rien que pour nourrir la bête. Mais vous me parlez de lisibilité des textes. Ne me faites pas rire. Où ça, des textes?

DRÔLERIES - C'est rare qu'on rie deux fois dans la même fin de semaine en regardant Le Téléjournal. D'abord dans une petite nouvelle sur la Listeria, on a entendu un spécialiste - serait-ce un fonctionnaire du ministère de la Santé? peu importe - on a entendu un monsieur dire que la Listeria peut être dangereuse pour les personnes enceintes, en particulier les femmes... Mme Pascale Nadeau, déjà rendue dans la nouvelle suivante, a eu du mal à contenir son fou rire.

Dans une autre nouvelle sur les crimes sexuels dans l'armée canadienne, deux fois plus nombreux que dans la population civile, nous annonçait-on, la porte-parole de nos petits soldats a reconnu dans un joyeux charabia que la norme de conduite était très élevée de la part de nos membres.

C'est pas pour vous faire la leçon de communication, mademoiselle, mais quand il est question de cul dans une nouvelle, évitez de parler de membre. Je vous expliquerai quand vous serez grande.

NOIR ET BLANC - La chose est connue, Saint-Jean-sur-Richelieu est la capitale mondiale de la corneille. Les ornithologues parlent de 50 000 qui vont y dormir tous les soirs au parc industriel (quelle drôle d'idée), mais aussi dans le Vieux-Saint-Jean et encore aux abords du Richelieu, près du Pont-Neuf, à peu près à la hauteur de l'auberge Harris. Dimanche, elles craillaient à leur habitude quand le ciel s'est soudain rempli de milliers d'oies des neiges qui se sont posées sur le Richelieu. Somptueux spectacle en noir corneille et blanc des neiges, et assourdissant concert: la corneille craille, je l'ai dit; l'oie des neiges - ce n'est guère plus harmonieux - cacarde...

Prolongez un peu votre séjour, nous fêterons Noël ensemble, ont invité les corneilles.

N'y pensez même pas, ont sifflé les oies. Franchement, Noël à Saint-Jean!

Extrait du nouveau guide Peterson Les oiseaux du Québec: appartenant à la sous-famille des ansérinés comme les cygnes et les différentes bernaches, l'oie des neiges se distingue des autres ansérinés par son extrême snobisme.