Des fois je pense à comment c'était quand j'étais petit et à comment c'est aujourd'hui, et je me dis ça s'peut pas, il s'est passé 12 siècles depuis.

Des fois je pense à ce qui a le plus changé. Les objets ou les moeurs? Des fois, aussi, je me dis y a au moins un truc qui n'a pas changé  le cul. Le cul, c'est comme avant. L'amour aussi.

Dieu, que j'étais ignorant! Une famille d'immigrés qui se tuaient au travail dans une petite ville de province où l'on tissait le caoutchouc dont étaient faits les corsets, fabriqués là aussi. On dit que le cul occupe l'esprit plus que l'argent chez la plupart des gens. Pas dans la capitale mondiale de la gaine baleinée où j'ai grandi.

Du plus loin que je me souvienne, je n'ai jamais entendu mon père parler de sexe, même en blague. Ma mère encore moins. Ni d'amour, d'ailleurs. Si ces deux-là ont été capables de nous faire, mes soeurs et moi, tout le monde est capable aussi, sans prendre de cours.

J'entendais Maisonneuve parler d'éducation sexuelle, à midi, je me suis mis à penser à ça: comment la chose vient-elle aux enfants auxquels on ne dit rien?

En ce temps-là, je vivais dans un monde où le cul n'existait pas. Quand il surgissait quand même, c'était effrayant. Putana! criait ma mère à ma soeur parce qu'elle était rentrée trop tard. Ça se lançait des horreurs, ma soeur arrivait en braillant dans la chambre. Tu dors? elle disait. Comment veux-tu que je dorme? On doit vous entendre au bout de la rue. C'est vrai, ce que maman disait? T'as couché avec?

C'était un garçon qui habitait notre rue. Cinq ou six ans plus tard, je suis sorti avec la soeur de ce garçon-là. Elle aussi, quand elle rentrait trop tard parce qu'on s'était attardés en revenant du cinéma, elle aussi se faisait traiter de salope par sa mère. Vraiment pas: on se donnait des becs, c'est tout. On avait 15 ans, et Dieu qu'on était innocents!

Aujourd'hui, à 15 ans, ils savent tout. Ils ont la théorie et souvent la pratique, le vocabulaire, ils vont sur le Net, où ils peuvent voir le moteur tourner en direct, les pistons dans les cylindres, floutche, floutche... Elles s'épilent le bonbon, ils font leurs petits machos ...

Et pourtant quelque chose me dit qu'ils sont aussi ignorants que nous l'étions. Savent tout des pistons et des cylindres, mais savent pas mieux conduire que nous.

Des cours d'éducation sexuelle? Si vous voulez. Mais, en même temps, j'ai envie de vous demander: en cette matière-là, les règles ne vont-elles pas de soi?

Prenez la règle no 1, celle à laquelle sont subordonnées toutes les autres, celle du consentement. Tu ne baises pas, ni rien d'autre, si tu ne veux pas. Cela va de soi, non? Tu baises seulement si tu en as envie, en t'assurant que l'autre aussi en a envie. Ça prend un cours, pour ça?

Pour les précautions, elles se résument assez facilement dans une démonstration de cinq minutes pour montrer comment enfiler un condom. Avec ça, peut-être un cours de physiologie générale. Quoi d'autre?

Ne restera plus qu'à apprendre ce qui ne s'apprend pas: que le cul, c'est dans la tête. Sinon, c'est plate. Sinon, c'est des pistons et des cylindres.

Que voulez-vous dire, monsieur, dans la tête?

Je veux dire que c'est là que ça fait du bien. Sinon, ça fait presque rien. Sinon, tu te maries, tu fais des enfants, tu les nourris à des heures régulières pour qu'ils ne soient pas malades, un jour t'as 70 ans et voilà, t'es passé à côté.

C'est cette partie-là, essentielle, qui ne s'apprend pas. C'est comme pour bien d'autres choses. Il y a des gens qui fantasment toute leur vie sur l'Italie et, quand ils finissent par y aller, ils vont à San Gimigniano et ils font ho! et ils font ha! C'est les mêmes qui rêvent toute leur vie de baiser dans un ascenseur ou sur la table de la cuisine et qui des fois le font et sont fous comme la marde.

En fait, si voulez vraiment le fond de ma pensée, ça ne sert à rien de donner des cours d'éducation sexuelle à des enfants si, en même temps, on leur donne un cours de tourisme pour les envoyer à San Gimignano. Vous ne voyez pas le rapport? Mais si! Toute l'éducation, aujourd'hui - pas seulement le tourisme; l'économie, l'administration, le commerce -, sacralise la marchandise. L'éducation elle-même est marchandise. Et là, tu fais une exception, tu leur dis: Mais pas la sexualité! La sexualité, c'est pas une marchandise.

Ils vont rire de toi. Ah non, c'est pas une marchandise? C'est quoi, alors, monsieur? L'attirail de la séduction, c'est pas de la marchandise? Les implants mammaires, les crèmes antirides, c'est pas de la marchandise? C'est quoi? De l'amour?

Parlant d'amour, c'est l'autre truc qui me fatigue, avec les cours d'éducation sexuelle: le lien presque automatique avec l'amour. Le message: tu ne baises pas si tu n'es pas en amour. Un truc pour les faire tomber en amour toutes les cinq minutes. Déjà qu'ils sont tout mêlés.

Pour le cul, je n'ai jamais regretté de ne pas avoir pris de cours. Des ratages, des embarras, des petites humiliations, rien de grave. Tandis que l'amour...

Mon premier amour, tiens, quand elle m'a planté là. Je ne savais pas que ça ferait mal à ce point-là. Je ne savais pas qu'on devient quasiment fou de douleur. Personne pour vous mettre en garde contre cela. Plusieurs en meurent, pourtant. Cela m'est arrivé, quoi? Quatre ou cinq fois? Assez souvent, en tout cas, pour que je mette au point une technique de gestion de la douleur amoureuse. Ne pas se débattre. Ne pas penser. S'abrutir de travail. Dormir comme une pierre. Et un matin - un an, un an et demi plus tard -, tadam! C'est fini.

Si je donnais un cours d'éducation sexuelle, je leur dirais: mes chers petits enfants, on ne parlera pas de cul parce qu'il n'y a pas grand-chose à dire. Le cul, c'est facile: tu mets un condom et t'en meurs pas.

On ne parlera pas d'amour non plus. De toute façon, y a rien à faire, on en meurt chaque fois.

De quoi on va parler, alors, monsieur?

De San Gimignano. Allez-y pas.