Comme je le répète aux gens qui m'aiguillent vers leur blogue avec un sans-gêne qui me laisse pantois chaque fois, je ne lis aucun blogue, sauf, parfois, celui d'un ex-collègue, Richard Chartier, installé à Prague. Mon compte Twitter est inactif depuis des années: je ne l'avais ouvert que pour les confidences de Lance Armstrong, au bout de trois jours, j'avais compris. Je ne suis pas sur Facebook non plus.

Voilà qui résume mon rapport aux médias sociaux. Reste que le phénomène me plonge dans une grande perplexité. Je ne comprends pas.

L'autre jour, sans doute pour m'aider à comprendre, notre chroniqueuse média, Nathalie Collard, a rapporté dans nos pages les échanges de trois personnalités québécoises sur Facebook et Twitter.

Le premier, Jean-François Mercier, est humoriste. Je ne le connaissais pas. Il fait des blagues sur Facebook. Celles que j'ai lues sont plutôt drôles; cela ressemble à de la réclame pour son commerce, je veux dire pour ses shows, ses émissions, que sais-je. Ne m'expliquez rien, je sais ce qu'est une vitrine.

Ne m'expliquez rien non plus pour Denis Coderre. Il me fait penser à Jacques Beauchamp, chroniqueur mythique des débuts du Journal de Montréal. Il a été, et de loin, le chroniqueur le plus lu de l'histoire du journalisme québécois. Il avait un truc: il nommait ses lecteurs un par un dans ses chroniques. Et ainsi de Denis Coderre. Lecteurs, électeurs, bof, c'est pas si loin. Je salue le courage de Claude Béchard - Bravo à mon ami Claude Poirier - Je serai dans quelques instants à l'émission de Jean-Luc Mongrain. Je sais ce qu'est une vitrine, disais-je: un espace où l'on expose ce qu'on a à vendre.

La troisième personnalité: Coeur de pirate. Tout ce que je sais de Coeur de pirate, c'est qu'elle n'est pas Camille. Pendant deux ou trois secondes, je crois toujours que c'est Camille qui chante, et puis non, pas du tout, vraiment pas, même. Coeur de pirate twitte. En rentrant je me mets au yoga (30 juillet) - J'ai pas encore mangé de frites en Belgique mais demain je le fais (25 mai) - Je fais une cure de tournée: pas de café pas d'alcool pour un mois (8 juillet) - Cette semaine je fais trois fuseaux horaires différents (4 février) - Now back à Montréal pour 24 heures (14 septembre).

C'est ici, amis lecteurs, qu'il faut m'expliquer la nature de ce rien qui m'échappe totalement, de ce rien qui est 90% de ce qui s'écrit dans les médias sociaux.

Expliquez-moi pourquoi l'intime le plus plat, en cela qu'il est le moins intime qui soit, est en train de révolutionner les communications en 140 caractères? A-t-on à ce point besoin de ne rien se dire pour se reconnaître et s'apprécier?

(Nota bene: s'il devait s'en trouver un, un seul pour me rappeler que j'aime me proclamer le maître planétaire du rien, je le gifle.)

CINÉMA - Pendant les Fêtes, j'ai loué The Trotsky, cette rafraîchissante comédie québécoise dont on a malheureusement moins parlé que de la polémique soulevée par son réalisateur, Jacob Tierney. Rappelez-vous, c'est celui qui a chiqué de la guenille fléchée au printemps en disant que le cinéma québécois devrait s'efforcer de refléter un peu plus la réalité moderne et plurielle de Montréal.

Je le trouve plus avisé quand il tourne que quand il cause, le Jacob.

J'ai avec le cinéma - pas seulement québécois - un rapport de plus en plus troublant: je ne me souviens plus, deux heures après, du film que je viens de voir. Parmi les rares exceptions de 2010: Le ruban blanc, film allemand en noir et blanc d'une très grande beauté formelle. Il faut aller à ce film comme on va au musée, pas comme on va au cinéma.

J'ai vu aussi en 2010 un film que les critiques ont trouvé plus génial encore que Le ruban blanc, mais franchement je ne me souviens plus très bien de quoi il s'agit, une histoire d'Arabes dans une prison? En tout cas, y a pas de lapin dans ce film-là. Je me souviens de tous les lapins que j'ai vus dans tous les films où y a des lapins.

À LA DÉFENSE D'ANNE-MARIE -  Je vois que, après Claude Dubois, l'artiste québécois qui s'est le plus ridiculisé en 2010 est Anne-Marie Losique. Pour ma part, je continue de suspecter que cette fille joue à la conne mais qu'elle est loin d'en être une. Tenez, par exemple, combien on parie qu'elle ne croit pas, elle, que les esprits font tourner les tables? Par contre, elle sait très bien comment nous faire tourner en bourrique avec son cul.

LA CONFIANCE - Les revues de l'année n'ont pas fait grand place au frère André, je trouve. Du moins celles des journaux. Je vous soumets ce petit texte de Gabrielle Roy, qui en dit plus sur le saint homme canonisé en 2010 que les niaises complaisances du cardinal Turcotte.

Extrait de l'un des 18 récits largement autobiographiques de Rue Deschambault (Éditions Beauchemin, Montréal 1959)

... Les Nault allèrent jusqu'à nous offrir une promenade à l'oratoire Saint-Joseph. C'était surtout, je crois bien, pour voir le frère André. Le pauvre thaumaturge était assis du matin au soir sur une chaise droite, la tête dans les mains, à entendre les appels, les prières d'une grande foule qui défilait devant lui; bien des personnes voulaient être guéries par lui; d'autres voir seulement s'il avait l'air d'un saint; et peut-être quelques-uns n'espéraient-ils qu'être compris de lui. Le frère faisait pitié; il gardait presque tout le temps son visage un peu caché; on eût dit qu'il avait mal à la tête ou que lui-même se plaignait de n'être pas compris du tout. Il est certain qu'il avait peu de temps pour répondre à tout le monde...

Maman eut son tour. Elle demanda au frère André si c'était un grand péché pour une femme mariée de partir en voyage sans avoir obtenu l'autorisation de son mari. Le frère André n'entendit peut-être pas bien. Il se dépêcha de répondre à maman: «Priez bien saint Joseph, ne buvez pas trop de café et ayez confiance, ayez toujours confiance.»