Si on veut parler sérieusement d'activité physique, il faut commencer par faire deux choses. La première: séparer les hommes des enfants. La seconde: parler de plaisir. On fera toutes les recommandations qu'on voudra, on mettra en place les plus ingénieux programmes, cela ne servira à rien si le plaisir n'y est pas.

J'ai entendu que c'est le temps qui manque le plus aux Canadiens pour se bouger le cul quotidiennement. Ce n'est pas le temps, c'est le plaisir. On trouve toujours le temps de faire quelque chose qu'on a envie de faire. Mariée, trois enfants, si t'as envie de courir, tu vas aller courir. Si t'as plus ou moins envie, alors là, ma vieille, t'as une excuse en béton: mariée, trois enfants.

Mais d'abord, disais-je, séparer les adultes des enfants. Deux questionnements différents. La place de l'éducation physique à l'école, la pédagogie de l'effort gratuit - pourquoi devrais-je courir 5 kilomètres, monsieur le professeur? -, vaste sujet qu'on abordera une autre fois, mais, au fond, l'adulte se pose la même question: pourquoi devrais-je aller courir, pédaler, skier, nager?

Une seule bonne réponse et plein de mauvaises. On faisait le lien l'autre jour à la radio entre l'obésité des enfants et l'absence d'exercice physique. Débile. Le lien entre malbouffe et obésité, O.K., mais n'allez pas vous imaginer que les petites grosses vont perdre 100 grammes parce qu'elles vont faire 10 tours de piste...

Vous non plus, madame. Faut pas courir pour maigrir. Faut courir parce que c'est le fun.

Et si je n'en ai aucun, M. le chroniqueur? Je ne cours pas pour maigrir, pas pour être en santé, pas pour vivre plus vieille, pas pour aller pédaler 1000 kilomètres avec la secte de Pierre Lavoie, je cours pour le fun, mais je n'en ai aucun, je fais quoi?

Du tricot. De la plongée sous-marine. Des cours de cuisine chinoise. Du bénévolat. Ce n'est pas grave. Mais peut-être qu'on ne s'entend pas sur le mot «plaisir». Ce n'est pas l'orgasme. Ni l'extase. Ni même la mystérieuse «zone» dont parlent souvent les athlètes d'élite. Le plaisir qui vient avec l'exercice physique, sans être masochiste comme on le répète souvent, est tout de même un peu doloriste, il vient après qu'on l'eut souffert raisonnablement. Il suppose un arrachement, une petite douleur en partant qui, pour la plupart d'entre nous, ne s'apprivoise pas. Cette lenteur que l'on met à lacer ses souliers, à regonfler les pneus, à faire l'inventaire de sa sacoche de selle, cette procrastination du décollage, je ne l'ai jamais surmontée.

Mais on finit par s'arracher. Dix minutes à souffrir un peu. Est-ce que vous jouez de la musique, madame? Du piano, de la trompette, n'importe quoi? Il y a une grande similitude avec l'exercice physique, dans l'arrachement d'abord, dans le plaisir dynamique qui suit, mais aussi dans l'absence totale de lien avec la santé (du moins physique), avec le poids, avec la vitesse, encore moins avec la bonne exécution de la chose, je suis sûr que je suis aussi nul à vélo ou sur un court de basket que vous au piano.

Pourtant, bon an, mal an, je roule mes 6000 kilomètres. Sûrement pas pour maigrir, je commence l'année à 205 livres, je la termine à 197. Ni pour vivre plus vieux, il m'arrive de penser avec effroi que ce coeur rodé pourrait me prolonger bien indûment quand tout le reste aura lâché.

Trois ou quatre heures de plaisir à la fois, et à la fin, chaque fois, une fatigue, une extinction heureuse. Dix minutes à souffrir un peu, puis j'entre dans le paysage, m'y inscris, m'y fonds, en deviens partie, deviens, comme l'Aleph, ce point de l'espace qui contient tous les points, puis je rentre à la maison, heureux sans raison.

Notez-le, madame, ce qui nous fait vivre le plus fort est sans raison, la musique, la course à pied, le vélo, le ski de fond, l'amour, la confiture de mirabelles.

PAN! SUR LES DOIGTS - Un prof de philo à la retraite, Edgar P., m'a trouvé bien imbécile dans ma dernière chronique sur Twitter et Facebook et il n'a peut-être pas tort.

Citer les entrées de Coeur de pirate sur Twitter pour prouver la futilité de Twitter, me dit-il, est comme citer des extraits de la biographie de Justin Bieber pour ridiculiser la littérature.

Touché.

En fait, cela n'excuse rien, mais explique peut-être un peu ma lapidaire généralisation. Plus que les entrées de Coeur de pirate, j'ai écrit cette chronique sous le choc d'une entrée de Denis Coderre qui, une semaine avant Noël, faisait un appel à tous pour une suggestion de cadeau pour sa fille de 18 ans. Reconnaissez, professeur, que M. Coderre est un personnage type de Twitter, on le représente souvent comme le prototype de l'homme d'action plogué direct sur la modernité par Twitter et... et rien, sauf ceci peut-être: devant cette modernité-là, il ne me déplaît pas d'être un homme des cavernes.

Mais je vous donne raison sur l'essentiel. Cela prend plus qu'une petite chronique à la va-vite pour faire le tour d'un phénomène aussi complexe. Là, vous êtes content?

LES SOURIS DANSENT - Prêtez-moi un chat, j'ai des souris, m'écrit Hénédine Savard de la rue Chabot. Elle a essayé les pièges, elle a appelé l'exterminateur, je suis son dernier espoir.

Hélas, madame. Moi aussi, j'ai des souris. La nuit, je les entends courir dans les murs tandis que Tonton ronfle sur mon oreiller; que Lola dort au bout du lit; sur le bahut s'évache Sophie la blanche, Zézette campe sur le pouf, je ne sais pas où sont les autres, Camus, Péa, La fille, Miss Piggy, hé, ho! les minous? Vous entendez les souris?

Ils n'entendent rien du tout.

N'empêche que ce serait un bien joli prénom, Hénédine, pour une souris.