Pour en finir avec ces élections et avec le triomphalisme de Jack, si le NPD avait fait élire 5, 6, 7, 10 députés au Québec, on pourrait parler d'une percée du NPD. Avec 58 députés, on ne peut pas. Ce n'est pas si extravagant de le dire, c'est l'évidence. Sept ou huit gains auraient marqué une progression. Cinquante-huit indiquent je ne sais trop quoi, mais pas une victoire du NPD.

M. Layton sait bien qu'il a remporté une victoire à la Pyrrhus, une victoire qui va lui coûter cher, une victoire qui le ramènera à coup sûr à la case départ dans quatre ans.

D'ailleurs, les lendemains ont déjà commencé à déchanter avec cette Ruth Ellen Brosseau, qu'on essaie bêtement de reformater alors qu'il eût été tellement plus habile de la «démissionner».

Pareil pour la grande victoire de la gauche au Québec. Si le Bloc avait fait élire une trentaine de députés et le NPD une dizaine en plus de finir second dans sept ou huit autres circonscriptions, on aurait pu parler d'une victoire de la gauche. Au contraire, ce que nous disent ces élections, c'est qu'une grande majorité d'électeurs québécois ne font pas la différence entre la droite et la gauche. Même qu'ils se contrecrissent de la droite et de la gauche. Cela est si vrai que, la prochaine fois, ce sera Legault, ou Deltell. Il suffirait que ces deux-là s'allient pour balayer le Québec aux provinciales. Les mêmes qui ont voté NPD n'hésiteront pas une seconde à élire des adéquistes en votant à droite toute, sans sourciller, sans même se douter de leur incohérence.

Quant à la fin du Bloc, si elle se confirme, ce ne sera pas, comme les Anglos l'annoncent triomphalement, parce que le Québec a enfin décidé d'être une province comme les autres. Le Québec n'est pas plus, pas moins fédéraliste aujourd'hui qu'il l'était il y a quatre ans. Si le Bloc ne se relève pas, c'est parce qu'il aura subi des dégâts trop importants - au cerveau notamment - pour se remettre de sa commotion, pas parce qu'il a perdu sa base.

LA CHAUDE LUTTE - Peut-être mon plus grand étonnement de ces élections. Le jour du vote, j'ai fait le tour des permanences des quatre grands partis qui avaient pignon sur rue à Val-d'Or.

À quelques heures de la fermeture des bureaux de scrutin, les libéraux - LES LIBÉRAUX! - me disaient qu'ils étaient au plus fort d'une chaude lutte à quatre. Les conservateurs prédisaient aussi une chaude lutte, mais à trois (sans les libéraux). Et chez les bloquistes, André Lévesque, directeur de la campagne du député sortant Yvon Lévesque (aucun lien de parenté), m'a confié avec une tranquille assurance, exempte de toute forfanterie, que son candidat avait une légère avance. Tenez, regardez... il m'a montré le graphique du dernier sondage maison.

L'or-ga-ni-sa-tion, monsieur, me disait-il. À la fin, c'est l'organisation qui fait la différence.

Quelques heures plus tard, ce bloquiste «légèrement en avance» a fini troisième, à 10 000 voix de Roméo Saganash. Dix mille. Je ne tourne pas le fer dans la plaie; je m'étonne. Pas seulement de celui-là, mais de tous ces travailleurs d'élections, tous ces pros de la chose électorale, ces spécialistes du pointage qui ont passé cinq semaines à faire des petites croix sur des listes de noms - à quoi servent-ils, au juste?

La salope

Mois de mai, mois de Marie, mois du Tour d'Italie, j'ajoute la RAI à mes canaux. Hier, la troisième étape, la première que je ne voulais pas manquer. Pas pour la course, dont je me suis un peu éloigné. Pour les paysages.

Les coureurs partaient de la plaine du Pô pour se rendre à Rapallo, petite station balnéaire sur le golf de Gênes, pas très loin de Gênes justement. Pour cela, ils devaient franchir à rebrousse-pente les Apennins de la Ligurie, probablement les plus jolies montagnes à faire à vélo de toute l'Italie, en tout cas parmi les plus belles que j'ai pédalées de toute ma vie. Ni très hautes ni très à pic, elles offrent des paysages magnifiques par des routes tout entortillées et qui se resserrent subitement en des goulots si étroits qu'on n'imagine pas y lancer 200 coureurs qui déboulent à 80 km/h.

Ce devait être une étape de pur bonheur. C'est souvent dans ces moments où l'on pense le moins à la mort qu'elle frappe. Hier, elle a frappé un jeune coureur flamand de 26 ans, Wouter Weylandt. Il a fait une chute d'une vingtaine de mètres quand sa pédale a accroché un de ces murets qui sont censés prévenir les chutes dans les virages des routes de montagne. À la télé, l'image était déjà funèbre: un corps écrasé sur la chaussée, complètement immobile. On le savait mort bien avant qu'on nous le confirme.

Cela m'a ramené 15 ans en arrière, dans les Pyrénées, au Tour de France. Un jeune Italien, Fabio Casartelli, dans des circonstances à peu près semblables, avait frappé un bloc de ciment dans la descente du Portet-d'Aspet. Je me revois au centre hospitalier de Tarbes, où deux douzaines de journalistes tapaient leur texte à croupetons dans les couloirs, tandis que les chirurgiens ou les embaumeurs, je ne sais trop, tentaient de refaire un visage humain au mort avant de le rendre à sa famille.

Le Tour d'Italie continuera sa route avec un crêpe noir. Les coureurs se rendront probablement en procession jusqu'à Livourne, terme de l'étape qu'ils doivent disputer aujourd'hui.

Un accident, bien sûr. Il n'y a rien à comprendre. Je l'ai dit quand est mort Casartelli, je le redis: on fait du sport - ou on en regarde - pour ne pas avoir les yeux sans cesse fixés sur la mort, mais voilà qu'elle surgit quand même, cette salope.