Il y a eu une bombe au 60 minutes de CBS, dimanche soir, une seule: Armstrong aurait eu un test d'EPO positif au Tour de Suisse 2001. Armstrong et son directeur technique, Johan Bruyneel, se seraient alors rendus au siège de l'UCI et auraient conclu un accord selon lequel le test positif serait effacé en échange d'un don substantiel.

La chose est connue depuis longtemps. Armstrong a effectivement fait deux dons à l'UCI: 25 000 $ à peu près vers cette époque et, trois ans plus tard, 100 000 $. Le message envoyé était celui-ci: non seulement Armstrong ne s'est jamais dopé, mais il finance la recherche sur le dopage.

Si ce contrôle positif existe bel et bien, cela change grandement les perspectives et donne un tout autre sens à ces dons. La nouvelle a filtré pour la première fois dans le Wall Street Journal, qui citait Floyd Landis, le sulfureux, l'instable Landis, et bon, on en est resté là. On n'allait tout de même pas croire ce menteur invétéré de Landis?

Sauf que, dimanche soir, l'histoire a été reprise par Tyler Hamilton, le fidèle lieutenant, l'ami d'Armstrong, qu'on a vu toute la soirée si réticent à l'accabler (1).

Qui vous a dit que Lance avait eu un test d'EPO positif en 2001 au Tour de Suisse?

Lance lui-même.

Il n'était pas inquiet?

Non. Lance était relax. Il m'a dit que son entourage et des gens de l'UCI avaient trouvé moyen de s'entendre. Il m'a dit que beaucoup de gens s'en étaient mêlés. Je ne connais pas les détails exacts...

Cette allusion à une collusion possible entre l'UCI, un coureur et son équipe, c'est énorme.

Si cela devait se vérifier, on ne parle plus seulement d'un héros dopé ni de dopage organisé dans une équipe, on parle d'une fédération internationale qui a blanchi un athlète dopé pour de l'argent, pour... financer sa recherche sur le dopage! C'est très original. En passant, notons que le président de l'UCI à l'époque était le Néerlandais Hein Verbruggen, ardent défenseur d'Armstrong et aujourd'hui... vice-président du Comité olympique international.

Puisqu'on est dans les vice-présidents, notons encore que Bill Stapleton, l'agent de toujours d'Armstrong était (ou venait d'être) vice-président du Comité olympique américain quand ce comité a commandé (à Don Catlin) l'analyse des trois échantillons B, de trois contrôles positifs à la testostérone d'Armstrong dans les année 90. Par bonheur, les trois échantillons B se sont révélés négatifs.

On n'est plus devant un athlète dopé. On est devant une sorte d'Al Capone à pédales qui contrôlait tout, intimidait tout le monde, imposait sa culture du secret, rigoureux gardien des deux grandes traditions du cyclisme professionnel: le mensonge et le silence.

Un parrain, donc, mais un parrain sur la fin. Presque plus personne n'a peur. Les secrets n'en sont plus. Les fidèles lieutenants, pressés par les agents fédéraux, parlent pour sauver leur propre peau.

C'est le cas de Tyler Hamilton. Et plus encore de George Hincapie, qui aurait déclaré, aussi sous serment, qu'Armstrong et lui prenaient de l'EPO ensemble. Hincapie n'est pas le dernier maillon. Il reste Popovych, Leipheimer, Livingston, Bruynell, mais c'est un très gros morceau pareil, Hincapie, le lien qui fait autorité dans le peloton actuel. Hincapie est celui qui va donner le signal du sauve-qui-peut.

J'ai dit un peu vite que, sauf pour cette bombe du Tour de Suisse 2001, on n'avait rien appris de ce 60 minutes. Je précise: les gens du vélo n'ont rien appris. Depuis quelques mois, ça n'arrête pas. Il y a eu l'article du Wall Street Journal, il y a eu ceux du New York Times, il y a eu l'entrevue-fleuve que Floyd Landis a accordée à Paul Kimmage, du Sunday Times, il y a eu le numéro de mai de Bicycling, un long papier d'un autre ex-ami de Lance, Bill Strickland. Le titre de la une de Bicycling: «He's done». Le titre de l'article: «Endgame». On ne peut mieux évoquer la fin.

Mais pour des millions d'Américains qui ne suivent pas le vélo, qui ne connaissent d'Armstrong que son bracelet jaune Livestrong et sa fondation pour lutter contre le cancer (qui a amassé 400 millions en 14 ans), pour ceux-là, ce fut une soirée difficile, voire douloureuse. Ils ont commencé à réaliser que ce n'était pas un complot des méchants Français, que Hamilton, Landis, Hincapie ne sont pas des jaloux, que, selon leurs propres valeurs, les valeurs de l'Amérique profonde, leur héros est un menteur et un tricheur.

* * *

Holà, monsieur le chroniqueur, on se calme le pompon. Les valeurs de l'Amérique profonde, vous n'en avez jamais rien eu à foutre, et cela ne vous a jamais fait un pli qu'Armstrong soit dopé. Cela fait 10 ans que vous nous répétez qu'il est dopé. Vous n'allez pas vous mettre à cogner dessus aujourd'hui, vous aussi?

Pas du tout. Je viens justement d'envoyer un courriel à un collègue et ami: dis-moi, Simon, comment vais-je faire, maintenant, pour leur expliquer que c'est néanmoins le plus grand athlète que j'aie jamais vu sur un vélo?

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(1) Rappelons que Hamilton n'a changé de camp que forcé par le grand jury qui enquête sur les allégations d'utilisation de fonds publics à des fins de dopage. Pourquoi des fonds publics? Parce que l'US Postal, qui commanditait l'équipe d'Armstrong, est une entreprise fédérale.

Photo: Reuters

Tyler Hamilton (à gauche), le fidèle lieutenant, a détaillé dimanche l'essentiel des accusations de dopage contre son ami Lance Armstrong.