Mais non elle n'était pas mal planifiée cette corvée pour aider les sinistrés de la vallée du Richelieu. Au contraire. Le plus difficile était de trouver le terminus des autobus de Saint-Jean où tout le monde avait rendez-vous. Moi-même qui suis presque Johannais je ne saurais vous y conduire tant c'est compliqué. Mais bon, rendu là, la logistique était parfaite.

Samedi, entre huit et dix heures, 42 autobus ont mené 1800 bénévoles aux zones prévues et les ont ramenés vers 16 heures.

Ceux du samedi ont tellement bien travaillé qu'ils ont fait 75 pour cent de la job qui pouvait être faite. On s'entend: pas 75 pour cent de la job totale qui prendra, elle, tout l'été.

Il faut bien comprendre que, là, tout suite, ils seraient 350 000 bénévoles sur le terrain, ils ne pourraient pas faire plus. Encore beaucoup de zones inondées ou trop vaseuses pour s'y aventurer. Et encore la pluie. Et encore cette saloperie de vent du sud qui a fait remonter les eaux de quelques sept centimètres dimanche.

Dimanche justement, à cause de la pluie, seulement 1000 des 2000 bénévoles prévus se sont présentés, mais, anyway, à midi ils avaient terminé. Alors, mal planifiée, cette corvée? Dans la hâte d'en finir, peut-être un poil trop empressée et se butant encore aux éléments, à la pluie, au vent du sud.

Les médias avaient créé beaucoup d'attente, annonçant cette corvée comme le championnat mondial du bénévolat. Une fanfare ne m'aurait pas surpris, et pourquoi pas des clowns, tadam, 2000 héros modestes allaient venir rescaper les pauvres sinistrés qui les attendaient en pleurant au bout de leurs pelouses inondées, et on ne manquerait pas de caméras pour saisir cet instant émouvant.

Pourquoi êtes-vous venu aider les sinistrés monsieur? La question a été posée un milliard de fois samedi et dimanche. Pourquoi tu penses? Je passais, j'ai vu des gens porter des sacs, j'ai trouvé ça amusant. Il faisait trop mauvais pour aller faire du vélo...

Prenez Daniel Blain, de Montréal, caporal à la GRC, mais ça n'a rien à voir, il pourrait être barbier rue DeLorimier, de toute façon sa femme ne l'aurait pas reconnu quand il est revenu de sa corvée samedi tellement il était sale, mais sale! Un tas de boue.

Et en plus vous puez caporal!

C'est vrai, je sens le poisson pourri. On sent tous le poisson pourri.

Il a passé la journée rues Verdi et Baraby à St-Jean à déplacer des centaines de sacs -je dirais que j'en ai empilés 2000 sur des diables que d'autres menaient jusqu'au chemin où des camions viendront les ramasser demain.

«Tout le monde répète qu'un sac de sable mouillé pèse 80 livres, mais ce n'est pas seulement le poids, il faut d'abord le décoller du tas où il est pogné avec les autres sacs. Il y a un arrachement, des centaines d'arrachements, je suis épuisé». Ce qui ne l'empêchait pas d'afficher le même grand sourire que les autres, tous plus barbouillés et maculés que des mineurs qui remontent de la mine.

Xavier Ducharme qui travaille chez Rona et son ami Marc-Antoine Colas ont le mieux résumé ce que tous ressentaient: c'est tellement le fun de se sentir utiles! On faisait des chaînes pour les sacs, parfois on était soixante dans la chaîne, c'était impressionnant, c'était même beau!

Paul Bilodeau, Martin Garnier, Mylaine Pichette, Olivier Charette revenaient de l'Ile Ste-Thérèse et du chemin des Patriotes dans le même coin, eux aussi on passé la journée à déplacer des sacs de sable.

Les gens devaient être contents de vous voir?

Pas tant que ça. Les sinistrés, les nôtres n'étaient pas très souriants. Ni chantant comme ceux que vous avez entendus à RDI. On les sent très fatigués, plus près de piquer ne crise de nerfs que de se joindre à une chorale, si vous voulez mon avis.

Dominique Vallée de Sorel n'en revenait pas de l'étendue du désastre. C'est une chose de le voir à la télé, c'en est une autre d'avoir les pieds dedans. Je me disais, l'eau va finir par s'en aller et leur vie reprendra comme avant. Je n'avais pas réalisé qu'au coeur de ce drame là il y a quelque chose de sacré : la maison. Ce n'est pas un bien comme un autre, une maison. Là où on était une femme s'est soudain mise à pleurer, elle est rentrée en courant dans la maison. On avait tous «le moton».

Au centre communautaire de St-Blaise, venait d'arriver deux autobus de mormons qui attendaient d'être ventilés sur les petites rues qui, de la 223, mènent aux berges du Richelieu. Samedi, le tiers de tous les bénévoles étaient mormons, ils sont arrivés avec leurs autobus, leurs outils, leurs plastrons jaunes qui les disaient «de l'Église de Jésus-Christ des Saints des derniers jours». Des pros pour ce genre de corvée qu'ils font souvent.

Des mormons aussi à Saint-Paul-de-l'Ile-aux-noix qui cassaient la croûte dans le parking d'une marina. Pierre DeCarufel, Nelson Saldana, Henri Becquereau prof en ébénisterie et ses fils Clayton et Jeremy, tous de Victoriaville, tous impressionnés par le courage des riverains.

À Saint-Paul encore on est allé saluer Jano la couturière à sa maison sur pilotis miraculeusement épargnée. Portée par quelques tiges de fer, battue par le courant du Richelieu à cet endroit gros comme le Mississippi, la vieille maison a tenue le coup. Il a seulement fallu sortir les tissus pour qu'ils ne prennent pas l'humidité. À une ou deux reprises, les essayages des robes de bal de graduation ont dû se faire chez Dédé-la-patate-frite. Les trois chats qui dorment sur la véranda ne sont pas sortis depuis deux mois. Pendant qu'on était là le premier bateau de l'année est passé lentement sur la rivière qui vient d'être rouverte à la navigation.

Cela fait seulement quelques jours que Jano n'a plus besoin de ses bottes «à menton» comme elle se plaît à les appeler, pour rentrer chez elle.

Dans les rues alentour, le grand ménage n'a pas attendu les bénévoles. Les corvées familiales allaient bon train samedi, toute la parenté au travail, vider les remises, les garages, laver à grande eau, trier, jeter, parfois démolir.

Vendu, annonce triomphalement la pancarte d'un agent d'immeuble devant un bungalow encore les pieds dans l'eau. La question se pose: vendu avant et c'est l'acheteur qui pleure, ou vendu la semaine dernière à vil prix?

Plus près de chez moi, à Philipsburg, à l'entrée d'un chemin qui mène au lac Champlain cette autre pancarte: «Bord de l'eau, maison à vendre». Quelqu'un a maladroitement tenté d'effacer Bord de l'eau.