Je venais de passer un péage, j'avais un doute. À la halte suivante, j'ai vérifié auprès d'autres automobilistes: Orléans, c'est bien par là?

Absolument, monsieur.

Je ne sais pas pourquoi, mon doute subsistait. Ah, tiens, ceux-là vont me le dire vraiment. Deux gars dans une camionnette de vitrier, ils doivent être du coin...

Je vais bien à Orléans, par là?

Tout à fait.

Vous êtes sûrs?

On est d'ici, alors!

Complètement rassuré, je suis allé pisser avant de repartir. À la pissoire, j'avais pour voisin un gendarme. Je suis bien sur l'autoroute d'Orléans, monsieur le gendarme?

Pas du tout, vous allez vers Bourges et Bordeaux, me répond-il aimablement en secouant son truc. C'est pas pour changer de conversation, mais c'était la première fois que je voyais un truc de gendarme. Mais c'est hé-naur-me!

Les Français n'ont pas l'exclusivité du «n'importe quoi», mais c'est l'assurance avec laquelle ils disent n'importe quoi. Absolument, monsieur. Tout à fait. Y a pas de souci. C'est clair.

L'autre jour, il y a eu la libération de ces otages journalistes. Je n'étais pas au courant. Quels otages? En Libye, me dit la dame. Vous êtes sûre? Des otages français en Libye? Ah, oui, oui, intervient le mari, c'est en Libye.

Ils ont toujours été nuls en géographie, les Français. La Libye, l'Afghanistan, Orléans...

Mais je vous vois dubitatifs. Orléans? Que va faire notre chroniqueur à Orléans quand le Tour, lui, est en Bretagne?

Je vous avais avertis. Je suis en vacances. Et je ne vais pas à Orléans. Je m'éloigne bien plus encore du Tour. Je vais saluer un très vieux monsieur dans une petite ville où j'ai vécu. Il était mon voisin au bout de la rue. Il peignait des fleurs. Maintenant, il les cultive, mais comme pour en faire un tableau, en faisant une composition avec beaucoup de rouge, des coquelicots et des marguerites roses, et des pensées grenat et, de temps en temps, un bleuet.

Le Tour, dites-vous? J'ai fait comme vous, j'ai regardé l'arrivée à la télé. Parlant de Français qui dit n'importe quoi avec assurance, je suis pas pire, dans le genre. Qu'est-ce que je vous avais dit, hier? Cavendish, ça ne peut pas être un autre que Cavendish.

Eh bien, ce fut Farrar!

Tellement plus sympathique comme ça. Et puis un Américain qui gagne un 4 juillet, ça tombe bien. Farrar est le grand ami de Wouter Weylandt, le coureur qui s'est tué au Tour d'Italie, en mai dernier. C'est pour ça qu'il faisait ce W avec ses mains à l'arrivée, pour Wouter, pour Weylandt. Ce faisant, il a failli se planter, d'ailleurs.

La deuxième victoire des Garmin après seulement trois jours de Tour. Et le maillot jaune en prime. Ils ont faim, les Garmin. Il ne manquerait plus que Ryder Hesjedal gagne au Mûr-de-Bretagne aujourd'hui. Ce serait quand même étonnant. Tout le monde le dit, l'étape d'aujourd'hui est promise à Philippe Gilbert.

Vous me raconterez. Je ne la verrai pas du tout, celle-là. Même pas à la télé. Je serai chez le vieux monsieur. Il n'écoute pas le Tour. Les autres années, quand j'allais le saluer, il me disait: T'es encore venu pour le Tour? Comment tu fais? Tout ce bruit, toute cette vulgarité... Même les bouquets des vainqueurs sont laids!

PUB Avez-vous remarqué ces coureurs - j'en ai vu au moins 10 - qui, dans les 40 derniers kilomètres, se laissent glisser à la hauteur du véhicule de leur directeur technique, et on voit alors très bien ce directeur technique leur passer une canette de Coca-Cola.

Oui, oui, moi aussi, il m'arrive de prendre un Coke pour me donner un coup de fouet sur une fin de parcours. Mais moi, il n'y a pas de caméra pour me filmer avec ma canette à la sortie du dépanneur.

Le Tour est retransmis dans plus de 100 pays pour des dizaines de millions de téléspectateurs. Le coup de pub est d'autant plus efficace que, à moins que je sois très naïf, ce n'est pas du «placement de produit» - les coureurs veulent vraiment du Coke. L'autre jour, au dépanneur de Richford, j'allais monter Jay (le petit Jay, celui qui arrive au pont couvert de Montgomery). Bref, la dame me dit: j'ai juste du Pepsi, ça fait pareil?

Non, madame, pas pareil du tout.

SI ELLES LE VEULENT! Depuis vendredi, la France ne parle plus que de Dominique Strauss-Kahn, comme s'il avait été complètement blanchi et libéré. On le dit même à nouveau «présidentiable» - à tout le moins, on évoque la possibilité qu'il redevienne le candidat de la gauche aux présidentielles de 2012.

J'allais voter pour lui, me dit Sylvie, la dame du gîte où je viens de passer trois jours. Eh bien, je ne le ferai pas même s'il redevient candidat. Je ne pourrais plus. Toute cette histoire nous l'a montré sous toutes ses coutures, et je n'arrive pas à me mettre en tête qu'un homme aussi immensément riche - je n'avais pas réalisé à quel point il était riche - peut partager les soucis de gens modestes comme mon mari et moi. Il ne peut pas comprendre les soucis de gens comme nous, qui gagnons 3000 par mois...

Cela ne vous dérange pas qu'il ait peut-être agressé cette femme de chambre?

Ah, ça, par contre, pas du tout. D'ailleurs, je ne crois pas qu'il ait agressé cette jeune femme. Je crois qu'elle ment pour avoir de l'argent. Il y a eu quelque chose, c'est clair; c'est un homme à femmes, c'est clair aussi. Mais si les femmes veulent...

Dans ce si les femmes veulent, il y a tout le fond de cette «exception» française qui agace tant nos suffragettes. N'empêche, si Strauss-Kahn devait être blanchi - je ne dis pas qu'il le sera, mais si jamais -, j'en vois deux ou trois chez nous qui vont avoir l'air de joyeux morons, pour ne pas dire de furieuses morones.

RENTRÉE DES CLASSES Je logeais jusqu'à ce matin à l'ancienne école de Bufféré. Quelle bonne idée pour un gîte, une vieille école! La cour de gravier, les préaux pour ranger les voitures, les trois chambres aménagées dans les salles de classe... En entrant dans la mienne, un pupitre d'écolier. Au mur, de vieilles photos d'élèves en rangs d'oignons. Sur une des photos, parmi les élèves, le père de l'actuel propriétaire; sur l'autre, plus ancienne encore, son grand-père. Debout, en arrière, le directeur de l'époque, avec son béret et sa petite moustache à la Hitler. Juste à lui voir la face, tu comprends que celui-là a dû gagner quelques championnats du monde de la torgnole et des coups de règle sur les doigts.

Puisqu'on parle de gîte, j'insiste deux secondes. Dans le premier où j'ai séjourné, dans le vignoble de la Pénissière, pour trois nuits, les trois déjeuners compris, 120. Celui-là était à l'ancienne, une simple chambre chez l'habitant, mais avec une connexion wi-fi dans la chambre! Dans le second, d'atmosphère, comme disent les guides, télé à écran plat dans les chambres, accès internet évidemment, trois nuits aussi: 140. Mais bien sûr, vous faites comme vous voulez, vous pouvez très bien continuer de fréquenter vos hôtels de chaîne de merde avec vue sur le parc industriel.

Évidemment, tout n'est pas parfait. Au petit-déjeuner, ce matin, les voyageurs qui occupaient la chambre voisine - des fleuristes bretons - m'ont dit des horreurs sur Céline Dion. Le monsieur a commencé par une flatterie: Ah! les Québécois, ils sont drôles, les Québécois. J'aime beaucoup votre Kavanagh...

Qui?

Comment, vous ne connaissez pas Kavanagh? Vous n'avez jamais entendu son monologue sur la Smart? Vous connaissez Céline Dion, quand même? Celle-là! Au début, on l'aimait. Maintenant, je crois qu'elle horripile tous les Français. Elle est devenue une caricature d'elle-même. Je ne vous insulte pas, là?

Un petit peu quand même, monsieur.