Vous allez dire que je vous fais faire le tour de la France des gîtes, n'empêche que c'est drôlement bien pour rencontrer des gens. Celui-ci était à la ferme, une vraie, pas trois canards et deux moutons pour amuser les touristes. Cent cinquante vaches, de la volaille, deux cents hectares de céréales. La fermière vient m'accueillir, s'essuie la main sur son tablier avant de me la tendre, bonjour monsieur, et là elle aperçoit, sur le pare-brise de l'auto, le laissez-passer autocollant du Tour de France: Presse.

Vous êtes journaliste pour le Tour? Ça n'ira pas, hein, ah non, ça n'ira pas. C'est des chambres toutes simples, les toilettes sont dans le couloir...

C'est pas grave, madame, ça me prend juste une table pour poser mon ordinateur, le reste, je m'arrange.

Y'a pas de table! Il y a un bahut, mais vous ne serez pas bien installé pour écrire, vous devriez aller à l'hôtel. Je peux appeler pour vous si vous voulez, ils ont l'habitude, je leur envoie souvent des gens...

Non, non, je reste ici.

Elle se met à faire la baboune. Et là elle a une idée: J'ai pas l'internet non plus. Ni le téléphone dans la chambre. Pas la télé.

Est-ce qu'il y a un lit?

Un lit, oui.

Alors je la prends. J'ai sorti ma valise de l'auto, mon sac à dos, je l'ai suivie dans les escaliers, dans la chambre j'ai tout de suite vu que le lit serait trop petit, c'est très, très bien, j'ai dit. Dans ma petite tête, je me disais, toi, ma crisse de fermière, t'as peut-être 150 vaches dans les prés alentour, mais je vais te montrer c'est quoi, une vraie tête de vache.

Ce n'est déjà plus sur le même ton qu'elle m'a demandé: vous souperez avec nous? Je fais table d'hôte aussi, oh rien de compliqué, hein...

J'ai dit OK, en ajoutant: je suis sûr que ce n'est pas très bon, mais je suis un peu trop fatigué pour aller au resto. À partir de là, on s'est bien entendu. J'ai même regardé le Tour dans la cuisine pendant qu'elle épluchait des patates. J'ai rencontré la famille, le fils qui a repris la ferme, les trois filles du fils, des gamines entre 8 et 12 ans qui m'ont embrassé comme si j'étais leur tonton.

Je retournerais là n'importe quand pour faire du vélo, j'en ai fait un peu d'ailleurs sur des routes en lacets si étroites que deux vélos ne peuvent s'y croiser.

Le souper? Un poème. Soupe aux légumes, tranches de rôti de porc avec des nouilles et des haricots verts du jardin, fromages (Cantal et Bleu d'Auvergne fermiers), dessert. J'étais assis à côté du fermier, il y avait aussi des Suisses de passage, deux dames qui viennent tous les ans, la fermière nous servait comme elle aurait servi ses enfants: il faut vider son assiette, hein! On n'a pas changé d'assiette entre la soupe et le rôti, ni entre le rôti et les fromages. J'ai «saucé» avec mon pain comme on faisait quand j'étais petit. J'ai repris trois fois de la soupe, ce que je ne faisais pas quand j'étais petit..

Avant d'aller me coucher, je suis allé parler aux vaches, bonjour les filles. Les vaches limousines (du Limousin) sont couleur brique, leurs bébés - elles étaient toutes flanquées d'un bébé -, leurs bébés ont une robe à peine plus pâle, la couleur de la crème caramel de ma fiancée quand elle la laisse un peu brûler.

J'aime la lenteur des vaches. J'aime plus encore leur indifférence au progrès.

PUB ANCESTRALE - En ce moment, sur les autoroutes de France, des pubs sur les «gestes ancestraux». J'imagine qu'elles émanent du ministère de la Culture, mais peut-être pas, anyway c'est une très bonne idée. Un immense panneau nous montre un menuisier avec son rabot, une fermière qui trait sa vache, une couturière, un boulanger les mains dans son pétrin, un viticulteur qui taille sa vigne.

J'essayais d'imaginer la même pub dans cent ans. Lesquels de nos gestes, devenus ancestraux, retiendra-t-on dans cent ans pour illustrer notre époque? La souris de l'ordi sur son petit tapis? Les pouces sur le clavier du téléphone intelligent? Ou encore, forme la plus conforme de notre déréliction, ce geste-là dont on dit qu'il rend sourd? Je vois d'ici un immense panneau, illustrant ce geste-là.

L'ÉTAPE - Thomas Voeckler en jaune, le Tour ne pouvait pas finir sa première semaine sur une meilleure note. Voeckler, c'est ce qui est arrivé de mieux au cyclisme français depuis Jalabert, ce n'est pas seulement un très bon coureur, c'est aussi un des plus brillants du peloton. Il sent la course comme personne. Rappelez-vous à Québec quand il a attaqué Hesjedal devant le Château Frontenac... Il sait quand, où, comment attaquer. En plus, il est gentil. Pas seulement une machine à pédaler, pas une petite PME du vélo comme le sont les Schleck, Cancellara et autres Gilbert. Il n'habite même pas à Monaco, mais dans un bungalow en Vendée, avec sa femme et ses enfants. Il ne dit pas de niaiseries même quand les journalistes lui posent des questions niaiseuses, comme hier à l'arrivée: «Et puis, Thomas, vous devez être content?»

Le maillot jaune à Voeckler, la victoire d'étape à Luis Leon Sanchez de la Rabobank, la médaille de la malchance à Hoogerland et Flecha qui étaient de l'échappée avec Voeckler, mais qu'une voiture de France-Télévision a envoyés dans le fossé et qui ont fini très amochés.

Au moment de l'incident avec la voiture de France-Télévision, on avait déjà perdu le compte des autres chutes de la journée, la plus grosse, au centième kilomètre, avait envoyé quatre coureurs à l'hôpital.

Récapitulons, Wiggins, Brajkovic, Horner, aujourd'hui Vinokourov et Van den Broeck, tous ces leaders d'équipe, sortis depuis huit jours sur des chutes. Contador, Leipheimer, Samuel Sanchez, retardés par des chutes. Ce Tour de France commence à ressembler à un jeu de massacre.

HESJEDAL - La dernière fois qu'on s'est parlé, ça n'allait pas très bien pour Ryder Hesjedal, l'unique Canadien de ce Tour de France. Cela ne s'est pas vraiment arrangé samedi, puisque, dans l'étape de Super-Besse, Ryder a concédé une minute et demie, et à nouveau une autre minute et demie hier en se faisant décoller dans les dernières bosses avant Saint-Flour. Le voilà à neuf minutes. Ça commence à faire beaucoup.

Remarquez que cela ne l'exclut pas encore d'une place dans les 10 premiers au classement général à Paris, au rythme où ceux qui sont censés finir dans les 10 premiers finissent pour l'instant à l'hôpital - hier Vinokourov et Van den Broeck -, Hesjedal, par élimination, peut encore finir sur le podium. J'exagère grandement.

La bonne nouvelle, c'est qu'il ne représente plus maintenant une menace pour les leaders qui le laisseront sans doute aller dans une échappée. Hesjedal peut encore gagner une étape.

La moins bonne nouvelle, c'est qu'on a vu Hesjedal à la peine et samedi et hier. Il semble loin de sa forme de l'an dernier.

SIGNE DES TEMPS - Le journal L'Équipe de ce matin dimanche - L'Équipe qui est partie du groupe ASO qui organise le Tour de France -, L'Équipe faisait sa «une» ce matin avec du foot, du foot de filles en plus, les Françaises s'étant qualifiées pour les demi-finales de la Coupe du monde en battant les Anglaises. Il y a 10 ans, les filles qui jouent au foot, eussent-elles gagné la Coupe de monde, n'auraient eu droit, en plein Tour de France, qu'au bas de la page 17.

L'Équipe ne consacre plus, chaque jour, que quatre pages au Tour, cinq avec celle des classements, je lui en ai déjà connu beaucoup plus, cela dit, des textes superbes et beaucoup plus critiques qu'avant.

La honte, c'est la télé, France 2 et 3 et ses animateurs agenouillés, prosternés dans la cathédrale de Notre-Dame du Tour, si les coureurs sont parfois géants (de moins en moins souvent), ceux-là sont d'affreux nains bruyants. Bref, vous êtes chanceux d'avoir Louis Bertrand. Même Vallet. Tout seul, il est parfaitement supportable, mais imaginez 12 comme lui, en même temps. C'est ce que j'ai ici.

ENFIN! - Cette fois c'est vrai, je prends des vacances, je m'en vais monter les cols auvergnats. Je vais m'installer à Salers où se fabrique un fromage, le Salers, qui sent le cul de la vache. Je penserai à vous. Je vous reviens avant la fin du tour, mais c'est pas sûr, figurez-vous que j'ai eu une offre d'un journal local, un peu comme Réjean Tremblay, sauf que moi, j'hésite à quitter La Presse où j'ai toujours été deuxième derrière Réjean, maintenant qu'il est parti, qui sait, je vais peut-être enfin être premier.

Hé Réjean, je t'embrasse pareil, vieux Judas. Amuse-toi bien.