Fait pas beau. Ils annoncent des orages. Me semble que j'entends gronder au loin d'ailleurs. Quatre cols au programme, mon programme. Quatre petits cols auvergnats que ne monteront jamais les coureurs du Tour de France, quatre petits cols pour franchir de vieux volcans éteints. Ah je vous en prie, hein, pas de réflexion idiote sur un autre vieux volcan éteint.

Le col de Légal, le col du Bruel, le col Saint-Georges et le col de Neronne, après les deux premiers, tu plonges vers Tournemire et ça remonte brutalement, en deux virages t'es déjà au-dessus des toits du village, ça monte jusqu'au hameau de Vieillespèze, là il y a une église du XIIe siècle, j'y suis entré pour remercier Dieu de tant de beautés, je sais il n'existe pas, mais au cas où, comme dirait Pascal.

Bonjour Dieu, c'est un cycliste du même âge que cette église qui te le dit: lorsque tu as créé le monde, tu t'es surpassé en montagne.

Merci surtout pour les cloches des vaches, cette musique céleste qui monte du fond des vallées, si tu avais mis ce genre de cloches au cou de tes anges au lieu de leur faire jouer de la lyre comme des moumounes, peut-être que je serais chrétien aujourd'hui.

Merci pour la fête du pain qu'on célébrait je ne sais plus dans quel village que j'ai traversé tout à l'heure, comment se fait-il que nous au Québec, qui avons tant de festivals du croûton, n'avons pas pensé à cela: une fête du pain... Rien que le mot pain est une fête, de la farine et de l'eau, quelle sainte idée.

Merci de me donner la force de monter encore des cols, je sais de plus grands bonheurs bien sûr, mais aucun ne m'apaise autant que ces chemins qui montent vers les hauts pâturages où, ici, paissent des vaches presque rouges - les Salers. Je sais de plus grands bonheurs, mais aucun qui ne m'éloigne plus des épiciers et épicières, merci Dieu d'avoir créé aussi la mer où les épicières vont se tremper le cul, comme ça on ne les voit pas en montagne. Tu sais combien j'ai croisé d'autos dans la montée du col de Légal? Quatre. Et de renards? Quatre aussi.

Merci pour ces chemins si ombreux dans la forêt qu'on y voit moins que dans un tunnel, un kilomètre plus loin les mêmes débouchent sur des plateaux plein ciel avant de filer en corniche au-dessus d'une nouvelle vallée, tantôt c'était celle de l'Aspre, maintenant celle de la Doire...

Dis, Dieu, maintenant que je t'ai bien remercié pour tout, me ferais-tu le miracle de retenir ton tonnerre, tes éclairs jusqu'à ce que j'arrive à Saint-Projet? Quatorze kilomètres, tout en descente, donne-moi vingt minutes...

Vous ne me croirez pas: il a commencé à pleuvoir comme j'entrais dans le village de Saint-Projet, en fait c'était des grêlons gros comme des oeufs de pigeon.

Il y a une auberge à Saint-Projet, auberge faut le dire vite, une grande table commune dans la cuisine des maîtres, la Guiguite, 83 ans, et sa fille Marie-Louise aux fourneaux...

Je peux entrer?

Mais oui, c'est une auberge, asseyez-vous...

Où?

Mais là avec nous, sur le banc. Vous voulez de la soupe? C'était un bouillon de viande avec des vermicelles. Mettez du vin dedans, me commanda la Guiguite. La bouteille de gros rouge était sur la table, j'en versai dans le bouillon. Plus que ça, me houspilla-t-elle deux ou trois fois, cela vous aidera à monter le col Saint-Georges en partant d'ici. Puis la Marie-Louise est arrivée avec un plat qui sortait du four, de la dinde dans son jus et baignant dans ce jus, des patates farcies à la ventrechère, sorte de hachis de tripes de porc.

Alors, vous venez du Canada? On a une amie au Canada, elle passait ses vacances ici quand elle était petite, elle s'appelle Céline Labbé, peut-être la connaissez-vous? Elle a une boulangerie à Montréal (vérification faite sur l'internet, cette Céline Labbé tient la boulangerie-pâtisserie La panière d'Alexie à Oka).

Je vais vous montrer des photos, s'empressa la Guiguite. Marie-Louise, sais-tu où on a mis les photos de Céline? Elles ont trouvé les lettres que leur écrit ladite Céline chaque Noël, mais pas de photos. Mais enfin, où sont-elles, ces photos?

C'est pas grave, je leur disais en reprenant des pommes de terre à la ventrechère, c'est pas grave du tout, mesdames.

Vous prendrez bien un dessert?

Un tout petit alors.

Le col Saint-Georges commence drette en sortant de l'auberge, et vous savez cet endroit dans la tête où la souffrance, petite, touche au plaisir, immense ? Cet endroit précis ? J'y étais très exactement.

LES SOUS - L'autre jour, je vous ai parlé de ce gîte dans une ferme où la fermière ne voulait pas de moi parce que ceci, cela. Finalement j'étais resté, j'ai oublié de vous dire combien cela m'a coûté, n'oubliez pas, je suis seul, mais quand même : la chambre, le souper, le petit-déjeuner: 40 euros... c'est à La-Grange-du-Bos, 4 kilomètres au sud d'Ussel... Ce qui coûte la peau des fesses en France, c'est l'essence et les autoroutes, le plein : 55 euros; 200 kilomètres d'autoroute: 30 euros de péage. Et n'allez pas croire, la France n'est pas si petite, à force de dire que le Québec est grand comme 458 fois la France, on a fini par s'imaginer une France de la taille de la Montérégie, pas du tout, Paris-Nantes, c'est Montréal-Rivière-du-Loup, le bout de la Bretagne, c'est la Gaspésie. Par les autoroutes, ça te coûte 8456 euros. J'exagère.

MADAME LA MAIRE - Les grands journaux français sont pleins ces jours-ci de la course à la chefferie socialiste - ils disent les « primaires » pour faire américain -, bref pour décider du candidat socialiste qui affrontera Sarkozy aux présidentielles de l'an prochain. On pourrait dire autrement aussi que les socialistes vont s'élire un remplaçant à Dominique Strauss-Kahn en villégiature prolongée à New York.

La lutte se fait entre Martine Aubry et François Hollande, dieu merci cette crispante nounoune de Ségolène Royal, sur les rangs aussi, semble écartée de la course. J'aime bien Martine Aubry, 60 ans, au coeur de son programme, un mot : solidaire. Oui, elle a de la Françoise David dans le nez, pas seulement dans le nez, dans le discours, dans les convictions, dans ce qu'elle dégage, une petite différence avec Françoise ? Martine Aubry se dit maire de Lille, pas mairesse, elle n'en met pas moins l'égalité hommes-femmes au coeur de son programme.

MONSIEUR VOECKLER - Après une première moitié de Tour moins « plate » que d'habitude (malgré les trois victoires prévisibles de Cavendish - on se console, cela aurait pu être cinq!), premier vrai grand rendez-vous du Tour de France hier, première des trois étapes pyrénéennes qui devait répondre à une grande question: où en est Alberto Contador?

Eh bien voilà, on le sait : il n'est pas là, Contador. Il a perdu le Tour de France hier dans la montée de Luz-Ardiden. En fait, il l'a perdu bien avant. Il l'a perdu dans la tête, à la présentation des équipes quand la foule imbécile l'a hué. Il l'a perdu dans la chute de la première étape. Et il l'a perdu définitivement, hier, avec les jambes, dans la montée vers Luz-Ardiden.

Parce qu'il est intelligent, surtout parce que les frères Schleck ne le sont pas trop, au classement cela ne paraît pas encore tant que ça que Contador a perdu le Tour de France. Mais il l'a perdu. Si les Schleck, ou Cadel Evans, ou même Basso qui semblait en avoir sous la pédale avaient attaqué avant, ce n'est pas 30 secondes que l'Espagnol eût concédé, mais deux ou trois minutes.

Sur ce qu'on a vu hier, le Tour va se jouer entre les frères Schlick-Schlack et Cadel Evans, peut-être aussi Basso. Anyway on saura demain. Pas aujourd'hui, non, aujourd'hui c'est une fausse étape de montagne avec un col, l'Aubisque, à 40 km de l'arrivée, ça accouche toujours d'une souris, ce genre de montagne.

Anyway, le héros hier, si vous voulez mon avis, c'est le Français Thomas Voeckler qui garde son maillot jaune. Voeckler le baroudeur qui passe les cols avec les meilleurs, c'était sympathique et c'était le 14 juillet, vive la France.

Une autre surprise: Tom Danielson de la Garmin, premier Tour de France à 33 ans, il a été longtemps le protégé de Lance Armstrong qui voyait en lui son dauphin, ce n'est pas arrivé, et le voilà, à 33 ans, qui montre soudain toutes les qualités qu'on lui prêtait.

Et Hesjedal? Il va beaucoup mieux, «notre» Canadien. Il a passé la journée avec les meilleurs, s'est fait un peu décoller dans le Tourmalet, est revenu dans la descente, pour se faire à nouveau larguer dans la dernière montée... Vous allez le voir aujourd'hui dans une échappée au long cours. Il pourrait bien être la souris dont je viens de vous parler.

Allez, je vous reparle demain, même si je suis en vacances.