Le Tour de France est arrivé hier à Montpellier pour aussitôt déménager dans la vallée du Rhône où il se repose aujourd'hui avant d'escalader les Alpes et de prendre l'avion samedi pour rentrer à Paris. Je n'y serai pas. Ni dans les Alpes ni à Paris. Je viens de décider que je ne retournerai pas sur le Tour. Je vais le redire pour la millième fois peut-être, la course oui, le Tour dans tous ses atours non, non et non. Le bruit, le trafic, la musique, les gens qui se jettent dans la poussière pour ramasser un porte-clefs, ce concentré de vulgarité, fi-ni, pu envie.

Pour l'instant je fige à Figeac, dans le Lot, je vais peut-être m'acheter une maison ici, j'en ai vu une avec, aux deux fenêtres, des bacs de géraniums dont le rouge illumine l'ocre des murs. On y entre par une porte cochère qui donne sur une cour où il y a un chat jaune.

Vous cherchez quelque chose, monsieur?

Je suis le nouveau propriétaire.

En attendant de passer chez le notaire, je suis à l'hôtel Les Pyramides. En fait, c'est un bar PMU avec des chambres en haut. PMU pour pari mutuel urbain, il y a une machine pour parier sur les courses de chevaux retransmises toute la journée à la télé. Ne vous avisez pas, dans ce genre d'endroit, de demander qu'on mette la télé au Tour de France.

Les chambres sont correctes. L'hôtel s'appelle Les Pyramides à cause de ce Jean-François Champollion dont je vous parlais samedi, grand savant déchiffreur de langages anciens. Les chambres portent des noms de pharaons, sauf la mienne qui porte le nom de Cléopâtre.

Chef, pourquoi Les Pyramides?

Ben , Champollion, les hiéroglyphes, tout ça.

Alors pourquoi pas le bar Les Hiéroglyphes. Je vois l'enseigne d'ici: Les Hiéroglyphes, Bar, PMU. Avec des paris sur les courses de dromadaires.

Ma chambre donne sur la Halle où les trois cafés de la place font terrasse. D'où j'écris ce texte, j'ai vue plongeante sur une table d'amoureux, à leur maladresse je suppute un premier rendez-vous, elle un peu plus vieille mais pas trop, les lunettes relevées sur le haut du front, robe noire, elle fume. Ça y est ils s'embrassent. Je suis sûr que c'est leur premier baiser. Ouf, une bonne chose de faite.

J'ai en tête un texte d'Annie Ernaux sur «les interprétations infinies du réel».

ENFANCE - Peut-être parce que je n'en ai pas eu à l'âge où on en a, mais peut-être aussi que c'est sexuel, tout est tellement sexuel de nos jours, depuis que je suis adulte, je fais une fixation (légère) sur les nounours. J'ai récupéré ceux de mes enfants, l'un est Timothée, l'autre je ne me souviens jamais. J'ai longtemps roulé à vélo avec un tout petit nounours dont la tête dépassait de la poche arrière de mon maillot, il s'appelait Gruau, je l'ai perdu, je m'en suis fait envoyer un autre de la boutique de New York où je l'avais acheté, peu de temps après avoir reçu le nouveau par la poste, j'ai retrouvé celui que j'avais perdu sur le bas-côté de la route, plein de gravier, j'ai maintenant deux Gruau dans mon bureau. Ah pour ça, on pourra dire que j'ai eu une vie trépidante.

Dans la ruelle derrière mon hôtel, il y a une boutique plutôt chic à l'enseigne de «Un amour de grenier» où l'on vend mille chiffonneries et des nounours.

Cela fait deux jours que je rôde autour de la boutique, j'entre, j'hésite, je ne vais quand même pas acheter un nounours à 70 ans, 71 bientôt. Si? Si.

J'ai finalement acheté une madame nounours. Elle a une robe rose complètement quétaine, par-dessus la robe un petit gilet blanc fait au crochet, une boucle dans les cheveux, rose aussi, le museau un peu de travers, elle a l'air d'une de ces petites vieilles qui continuent de s'habiller en petite fille et qui, probablement, collectionnent les nounours. Je viens de décider que ma madame nounours s'appellera Mirabel comme l'aéroport désaffecté.

LES MOTS DU MARCHÉ - J'ai été réveillé à 7h par les fermiers descendus de partout, du Lot, de la Corrèze et du Cantal, qui avec leurs fruits, qui avec leurs fromages et leurs miels pour le marché du samedi sous la Halle. Ils ont monté leurs étals en se lançant des bêtises pour rire.

Pourquoi il est presque violet, votre fromage de brebis?

Parce que je mets du safran dedans. Du safran que je cultive sur ma terre.

Je pensais que c'était jaune, le safran...

Non, ce n'est pas jaune, c'est pourpre, comme les colchiques, en fait...

Colchique! Cela fait bien mille ans que je n'ai pas entendu ce mot-là. Depuis la petite école et cette comptine que je vous fredonne: «Colchiques dans les prés, fleurissent, fleurissent, colchiques dans les prés, c'est la fin de l'été»

MIELLAT - Celle-ci venue d'aussi loin que de l'Aveyron vendait du miel. Miel de chêne de l'Aveyron, disait sa petite ardoise. Du miel de chêne? En France, les chênes feraient des fleurs que les abeilles butineraient?

Non pas, monsieur. Ce n'est pas comme ça. Les chênes sont attaqués massivement par des pucerons, et ce sont les déjections de ces pucerons que butinent les abeilles...

Vous vous moquez, madame?

Pas du tout. On dit du miel de chêne, mais en fait, c'est du «miellat».

Votre miellat serait donc de la merde de pucerons sublimée par les abeilles?

Voilà. Vous dites bien les choses.

Pas toujours, madame. Souvent je les dis mal exprès.

MYRTILLES - Je n'ai pas acheté grand-chose, des prunes reine-claude, du fromage de brebis au safran qui tirait sur le violet la couleur des colchiques, une part de tarte aux pruneaux, un petit morceau de pain d'épices au gingembre, et une demi-fouasse, sorte de brioche campagnarde, moins bonne que la vraie brioche de pâtissier.

Ah oui aussi, j'ai acheté un petit casseau de myrtilles. C'est ainsi que les Français nomment les bleuets. Je n'aime pas les bleuets, je trouve que c'est un fruit sans intérêt. Je n'en mange jamais au Québec. Mais je me suis dit que j'aimerais peut-être les myrtilles. Je n'ai pas aimé du tout. C'est normal puisque ce sont des bleuets et que je n'aime pas les bleuets. Des fois je suis con et je le ne fais même pas exprès.

LA COURSE - Et de quatre pour Cavendish. Un lecteur m'écrit: je ne comprends pas, un jour il finit premier, le lendemain dernier. Expliquez-moi. Je ne vous expliquerai rien du tout, vous partez de trop loin. C'est un peu comme si vous me demandiez pourquoi Usain Bolt ne court pas le marathon. Parce que sa maman veut pas, bon.

Sauf sur les étapes de plat où Cavendish et le train des HTC sont imbattables, ce Tour souffle le chaud et le tiède, le chaud c'est Thomas Voeckler toujours en jaune après les Pyrénées, le tiède comme une pizza qui refroidit avec ses fils de fromage qui s'étirent mollement, le tiède ce sont les grands favoris, le duo des Schlick-Schlack, Cadel Evans, Basso, Contador même s'il a des excuses, qui ont transformé la traversée des Pyrénées en traversée du désert pour ce qui est du show.

Et vous allez voir qu'ils vont se pogner le cul aussi dans les Alpes, pour finalement réduire ce Tour à la seule montée de l'Alpe d'Huez vendredi, leur Tour aura fait très exactement 14 kilomètres.

Le grand favori des experts est devenu Cadel Evans à cause du long et difficile contre-la-montre de samedi. Mais, je pose la question, pourquoi pas Basso? Ou Samuel Sanchez que tout le monde oublie? Sans parler des Schlick-Schlack que je vois faire un grand numéro dans l'Alpe d'Huez.

La vraie consolation, la vraie morale de ce Tour qui manque de nerf, serait que Thomas Voeckler le gagne. Par «morale», je n'insinue pas qu'ils sont tous dopés sauf Voeckler. Soit aucun des 10 premiers n'est dopé, soit ils le sont tous, et Voeckler aussi. C'est pas vrai qu'un Voeckler à l'eau claire tiendrait tête à ces gars-là dopés.

Mais je parlais d'une autre morale. On vous paie pour courir, courez. On vous dit géants de la route, ne faites pas les nains, les gagne-petit, les boutiquiers, ne faites pas les Luxembourgeois.

Voeckler ne rate pas une occasion de dire qu'il n'est pas un géant. C'est vrai. Il a pourtant été, et de loin, le plus grand jusqu'ici.