Vous allez dire que je déconne. Il faut quand même que je vous parle deux secondes de Sigmund Freud avant de vous parler du faux départ de Usain Bolt. De toutes les théories freudiennes, l'acte manqué est sûrement la plus limpide. C'est tout simple: tu fais une grosse connerie qui n'en est peut-être pas une au fond, enfin pas aussi gratuite qu'elle en a l'air, une connerie qui, en fait, traduit ce que tu voulais vraiment faire. Exemple: sans se l'avouer un politicien en a plein le cul de la politique, il se fait prendre à voler un manteau, finie la politique! (1)

Suis-je en train de vous dire que Usain Bolt en a plein le cul du sprint, de l'athlétisme (sauf des millions que cela lui rapporte évidemment)? Un peu. Suis-je en train de vous dire que contrairement aux jovialistes chroniqueurs sportifs qui l'ont vu dominer les quarts et les demis, Bolt n'était pas si sûr de gagner cette finale et que, inconsciemment bien sûr, il s'est arrangé pour ne pas la perdre non plus? J'entends ne pas la perdre en courant? C'est ce que je dis un peu aussi.

Je déconne? C'est bien possible.

Notez tout de même que l'acte manqué est souvent qualifié de mécanisme de déplacement, avouez que ça tombe drôlement bien pour un faux départ.

Notez encore que Bolt n'est pas coutumier des faux départs. Qu'il est même connu pour rester collé dans les blocks. Ça, bien sûr, c'est quand il est sûr de gagner, anyway.

Mais bon oubliez tout ça, mettons que c'est une erreur. Toute une erreur! Indiscutable, Bolt n'a d'ailleurs pas discuté. Il a ôté son maillot aussitôt que le starter a rappelé les coureurs. Son seul commentaire a été pour dire qu'il n'en ferait pas: Je n'ai rien à dire pour le moment, j'ai besoin de temps. Le 200? C'est vendredi non? On verra vendredi.

Là-dessus il a disparu.

La profondeur du sprint jamaïcain est telle que le nouveau champion du monde est quand même Jamaïcain, celui qu'on attendait le moins, Yohan Blake, 21 ans, le seul qui soit descendu sous les 10 secondes dans cette finale qui ne passera pas à l'histoire pour ses chronos (précisons tout de même que soufflait un vent contraire de 1,4 mètre seconde). En seconde place l'Américain Walter Dix, plus à l'aise sur 200, troisième l'éternel Kim Collins de St-Kitts, 35 ans, champion du monde à Paris en 2003.

Après deux jours de championnat du monde, il faut souligner l'incroyable triplé des Kenyanes au marathon et au 10 000, la débandade de Kenenisa Bekele au 10 000 aussi remporté par l'Éthiopien Ibrahim Jellan devant le favori Mo Farah.

Quant à la Beauceronne Julie Labonté, il lui aura manqué plus d'un demi-mètre pour entrer dans la finale du lancer du poids, son jet de 18,04 la classe 19e sur 25).

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(1) Pour les jeunes générations: référence ici à l'affaire Claude Charron, député péquiste qui défraya la chronique québécoise en 1982 après avoir volé un manteau chez Eaton.

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LES FAUX DÉPARTS, HISTORIQUE ET HISTOIRES

Jusqu'en 2003 étaient disqualifiés les sprinters qui commettaient DEUX faux départs dans la même course.

En 2003 entre en vigueur un curieux nouveau règlement dont personne n'a jamais très bien compris le sens: le premier faux départ est porté au compte des huit coureurs en piste. Le second faux départ élimine le coureur fautif (même si ce n'est pas lui qui est l'auteur du premier).

Depuis janvier 2010 nouveau et brutal changement: est éliminé tout coureur qui commet UN faux départ. C'est ce qui est arrivé à Bolt.

Opinion: on devrait revenir à la première règle, celle qui établissait qu'un coureur est out après deux faux départs, même si cela encourage les coureurs à en commettre un premier pour déstabiliser les autres.

Le coup n'est pas parti

La plus belle histoire de faux départ? En 1960, l'Allemand Armin Hary devient le premier sprinter de l'histoire de l'athlétisme à atteindre les 10 secondes. Sauf que le starter annule aussitôt la course: ça ne compte pas, Hary a commis un faux départ.

Pourquoi ne l'avez-vous pas signalé en tirant un second coup de pistolet?

J'ai tiré, mais le coup n'est pas parti.

La course est annulée et le record historique aussi. Sauf que les coureurs s'entendent pour reprendre la course une heure et demie plus tard. Et Hary remet ça: 10 secondes pile. Pour la petite histoire, trois mois plus tard, le Canadien Harry Jerome courra lui aussi en 10 secondes.

Couché sur la piste

Des vilaines histoires de faux départ? Plein! Deux auxquelles j'ai assisté, finale olympique du 100 à Atlanta en 96, l'Anglais Linford Christie tenant du titre depuis Barcelone fera mille simagrées disgracieuses avant de sortir après son second faux départ. En 2003, en quart de finale du 100, l'Américain Jon Drummond qui vient de commettre un faux départ se couche sur la piste pour empêcher qu'on reprenne la course sans lui, la pantalonnade durera de longues minutes.

Donnons à Usain Bolt d'être sorti rapidement sans manifester autre chose que son immense dépit.

Photo: AP

Le faux départ d'Usain Bolt lui a valu une disqualification du 100 mètres hier aux Championnats du monde d'athlétisme.