Je pourrais résumer ça comme ça: vous, c'est la construction; moi aussi. Mais pas la même. Comme vous, je voudrais une enquête sur l'industrie de la construction, mais pas la construction de ponts, d'autoroutes ou d'arénas. La construction d'enthousiasmes.

De quoi?

D'enthousiasmes.

Passe en ce moment à la télé une pub de McDo qui dit tout ce que je m'apprête à vous dire. Une bonne pub, comme presque toujours les pubs McDo, qui a bien sûr le fric pour se payer les meilleurs scripteurs, les meilleurs réalisateurs, les meilleurs tout. Souvent de petits bijoux. Celle-ci, d'une effarante efficacité, nous montre un type qui s'apprête à mordre dans un hamburger qu'il tient à deux mains à la hauteur de sa bouche. Autour de lui, plein de gens se sont arrêtés de faire ce qu'ils étaient en train de faire, saisis - que dis-je, tétanisés par l'envie que ce type leur donne de mordre eux aussi dans un hamburger. La pub primaire, primale, primate même: devant l'enclos des singes, un type pèle une banane, l'approche lentement de sa bouche en fixant les singes.

Quand vous aurez eu votre enquête sur la construction des ponts, à huis clos ou pas, est-ce qu'on pourrait passer à l'essentiel? Une enquête sur la construction de cette pub de McDo. Sur la pub en général, mais en particulier sur la fabrication des enthousiasmes dans l'industrie de la culture.

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Je viens de voir un mauvais film québécois que les critiques, mes préférés comme les autres, ont encensé unanimement, pas forcément pour de mauvaises raisons - en fait, je soupçonne qu'ils ont aimé ce film par sympathie pour son auteur. Qu'importe. C'est un mauvais film.

Critiquer, c'est bien des affaires, mais c'est aussi, c'est d'abord un acte de résistance. Résistance à la mode, à la facilité, aux idéologies, à la morale, au milieu, à la pub. Résister pour ne pas devenir un singe.

Résister surtout aux techniques de plus en plus raffinées et efficaces de mise en marché de l'objet culturel et de la performance culturelle.

Ce qui est effrayant, dans la pub de McDo dont je vous parle, c'est le rapport entre le génie - j'exagère à peine - qu'on a montré pour la concevoir et la médiocrité de son objet: le hamburger en question. Pareil dans l'industrie de la culture. La big machine à produire des enthousiasmes en amont du produit culturel qu'on veut nous vendre est très souvent plus inventive, plus géniale que le putain de hamburger culturel qu'elle veut nous faire avaler.

J'ai parlé l'autre jour d'un presque mauvais livre que je venais de lire en vous soulignant avec quelle impatience je l'avais attendu comme le chef-d'oeuvre du siècle. Je ne me reconnais pas dans cet imbécile qui attend un nouveau livre avec impatience. J'en ai assez d'anciens à relire sur mes tablettes pour ne pas avoir à acheter un seul nouveau livre d'ici à ma mort. Il y a forcément quelqu'un quelque part qui m'a pris pour un singe, qui s'est mis à bouffer une banane devant moi, et j'ai marché à fond. Il faudra donner le Goncourt du livre étranger à l'auteur du plan, pas à l'auteur du livre.

Pour vous dire comme le mal est profond, depuis ce livre-là, j'ai déjà récidivé en achetant un autre mauvais livre dont la critique québécoise chouchoute l'auteur ces jours-ci. Un livre qu'on nous présente non pas comme un chef-d'oeuvre, mais comme l'événement sympathique de la rentrée littéraire au Québec. Qui n'a pas envie de lire un petit livre sympathique au lieu d'un gros chef-d'oeuvre? Au bout de 20 pages, j'ai compris que je venais encore de me faire fourrer. Il faut féliciter l'agent littéraire responsable de cette remarquable mise en marché, un cas d'école à enseigner dans les cours de marketing: le coup du petit livre sympathique.

Je sais que je vous énerve en ne vous nommant ni le film ni le livre qui m'ont servi de petit bois pour allumer cette chronique. C'est voulu. Pas de vous énerver. Le problème n'est pas un mauvais film, de mauvais livres. Le problème, c'est que nous sommes en train de devenir des singes. Le problème, c'est la «bananisation» de la culture.

RADIO-CANADA - Radio-canadien je suis, radio-canadien je mourrai, même si, de plus en plus souvent, je suis rien: j'éteins de plus en plus souvent la radio pour prendre un livre.

Commençons par les bonnes nouvelles de la nouvelle saison, cette émission culturelle les soirs de semaine, à la radio justement, Plus on est de fous, plus on lit. Ce soir-là, le poète en résidence était Jean-Paul Daoust. On avait aussi invité Nadeau, du Devoir, pour parler de la biographie de Miron; également deux comédiens fort connus, même si j'oublie leurs noms, qui déconnaient magnifiquement, un feu d'artifice de débilités intelligentes. J'ai ri pendant une heure. Ce n'est pas tous les soirs comme ça, bien sûr, mais l'animatrice Marie-Louise Arsenault a quand même une sacrée bonne moyenne au bâton.

C'est déjà tout pour les bonnes nouvelles. Pour les mauvaises, la pire a été cette rumeur qui a accompagné le retour de René Homier-Roy: ce serait sa dernière année. Mon collègue Hugo Dumas me dit que ce n'est pas vrai, mais je me prépare pareil, je m'entraîne au silence.

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Cette définition tirée de mon Larousse culinaire:

DÉGORGER: pour faire perdre à un poisson son goût de vase, ou pour débarrasser des abats de leur sang - surtout la cervelle -, on les fait dégorger en les faisant tremper dans l'eau environ une heure.

À quelle émission estivale, à la télé, je dis bien es-ti-vale, ce «dégorgement» vous fait-il penser?

Un indice? Suite et fin de la définition de «DÉGORGER» dans mon Larousse culinaire: On fait également dégorger les concombres.

Un autre indice? Qu'est-ce qui fait toujours tchou-tchou trois fois? Mais non, pas le concombre. Vous avez déjà vu un concombre faire tchou-tchou, vous?

Vous êtes nuls.