Monsieur Léo Fréchette, de Saint-Lambert, s'en allait s'acheter un vélo dans un magasin de sport de Montréal que je ne nommerai pas parce que M. Léo Fréchette, et moi tout comme lui, ne souhaite pas que le curieux jeune homme qui l'a servi perde son job.

M. Léo Fréchette savait exactement ce qu'il voulait: un Trek Madone 6.5, avec les taxes, il s'attendait à dépenser autour de 5000$. Sa femme l'accompagnait. Bonjour, je suis venu m'acheter un vélo.

Très bien, monsieur, quel genre de vélo?

Je veux le Trek Madone 6.5.

Vous avez quel âge? , demande alors, un peu abruptement, le jeune vendeur.

J'ai 74 ans, répond Léo, surpris de la question. Ici, une parenthèse. Léo roule autour de 5000 kilomètres par année, à 27/28 de moyenne, un peu plus vite avec le peloton des Increvables, le club cyclo de Brossard. C'est nettement au-dessus de la moyenne des septuagénaires, mais ce n'est pas non plus un exploit, j'en connais d'autres.

Le vendeur aurait pu délicatement demander à Léo s'il roulait beaucoup, parler un peu avec lui et aviser selon les réponses. Au lieu de cela, il lui a dit, comme s'il avait affaire à un demeuré: ah non, monsieur, non! C'est pas bon pour vous, le Trek Madone, et d'ajouter: «Vous allez parader avec, c'est tout!» Redites-moi quel âge vous avez, déjà?

J'ai 74 ans, lui a répété Léo, calmement. Et là-dessus, il est allé s'acheter un Opus Crescendo en solde chez Desautels à La Prairie, son magasin habituel.

Si le petit nono qui a perdu cette vente de 5000$ est à l'écoute, on lui conseille vivement de lâcher le commerce de détail pour se lancer dans des études en gériatrie.

DÉSEMPARÉ Fait longtemps que vous nous avez parlé de vos chats, monsieur Foglia. C'est vrai. Savez pourquoi? À cause de courriels «ti-minou» du lendemain.

Anyway, sont toujours huit ou neuf, cinq filles, et attendez que je compte les garçons, Ramon, Camus, Théou, Théou est le dernier arrivé, les premiers jours il se cachait partout, t'es où? T'es où? Ça lui est resté. Et Tonton, mon Tonton, que je nourris en cachette aux Tostitos. Et un autre encore qu'on nourrit sur la galerie depuis deux ans et qui ne se laisse toujours pas approcher.

Je ne les aime pas toujours. Des fois, à l'heure des repas, quand ils crounchent tous en même temps et qu'on a l'impression qu'il y a une moissonneuse-batteuse dans la cuisine, je dis à ma fiancée, c'est pas des animaux de compagnie, c'est des estomacs à moustache.

D'autres fois, c'est leurs chicanes qui me tannent.

Tonton, calvaire, arrête de faire chier Miss Piggy. Il ne comprend pas un mot de ce que je dis, bien sûr, mais la tonalité l'avertit que je suis fâché et que je m'apprête à lui garrocher une savate dans le front. Il part comme un fou, clac, clac la chatière, il est rendu au bout du jardin avant que j'aie eu le temps d'ôter ma savate.

Quand je lui dis oh le beau Tonton, comme il est gentil, comme il est mignon, il ne comprend pas un mot non plus, mais la tonalité encore lui dit que je vais peut-être lui donner des Tostitos, il se met à ronronner...

L'autre jour, je lui ai joué un tour, il était de nouveau en train d'embêter Miss Piggy, mais au lieu de crier Arrête, Tonton, tabarnak, j'ai dit oh le beau tonton, comme il est pas gentil avec Miss Piggy. Il s'est mis à ronronner. Et paf, la savate lui est arrivée dans le front!

La tête qu'il a faite! Je riais! Il comprenait plus rien. Désemparé qu'il était comme dans le poème de Miron que chante Plume, désemparé héhé\nous marchons dans la vinaigrette\ignorants d'la savate qui nous guette\ désemparé héhé...

Ne riez pas. Vous aussi, une savate vous guette, plusieurs même. Vous rappelez-vous cet ex-premier ministre, lucide ça s'peut pas, qui disait aux Québécois il n'y a pas si longtemps, vous êtes des ci et des ça et vous êtes paresseux en plus. Vous vous êtes poussés comme des fous au bout du jardin pour ne pas l'entendre.

Maintenant qu'il est devenu monsieur Gaz de schiste, il vous fait le même coup que j'ai fait à Tonton. Il dit que vous êtes vaillants, il dit que vous êtes brillants, il dit vous avez de l'avenir, plein d'avenir et voilà que vous faites comme Tonton: vous vous mettez à ronronner comme des cons.

Vous ne la verrez même pas partir, la savate qui va vous arriver dans le front.

Désemparé héhé, désemparé.

CONVERSATION AVEC UNE LAITUE Ma fiancée est revenue du Metro avec une laitue Boston dans une boîte à chapeau. Je vous assure, c'est comme ça qu'ils vendent les laitues maintenant: dans des boîtes à chapeau en plastique. La forme sphérique d'une boîte à chapeau, le couvercle d'une boîte à chapeau, on le déclipe de sa base, on le bascule sur sa penture, tadam la boîte est ouverte, mais ce n'est pas un chapeau, c'est une laitue.

Attention, elle est vivante. C'est écrit sur l'étiquette du couvercle: laitue fraîche et vivante.

Bonjour laitue, qu'est-ce que tu fais dans une boîte à chapeau? Hon, t'as fait pipi...

Mais non, c'est de l'eau pour mes racines pour que je reste vivante.

Sont vilaines comme des cheveux de sorcière, tes racines.

C'est parce que je suis hydroponique.

Ma chère! Hydroponique! Voyez-vous ça. Comme Proust?

À qui parles-tu?, m'a demandé ma fiancée.

À personne.

Prends-moi pas pour une folle, je t'ai entendu, tu viens de dire que Proust était hydroponique.

Ben voyons! Si ça a de l'allure! J'irais dire à une laitue que Proust était hydroponique? Il était même pas hydroponique, il était daltonien.

Allez, bon week-end, paraît qu'il va faire grand soleil, je ne sais pas pour vous, mais moi, mon psy me dit de pas sortir sans chapeau ou alors de passer à l'ombre.