À cet endroit, le chemin Hannah ne s'élève pas assez pour qu'on le dise en corniche, mais s'élève tout de même de quelques pieds au-dessus du talweg rocailleux d'où sont sortis les quatre coyotes, à moins de cent pieds d'où j'étais en train de pisser.

Le papa, la maman et deux ados déjà grands, probablement nés au printemps, les adultes grisonnaient au flanc, les ados étaient tout caramel sauf pour la truffe noire caoutchoutée au bout de leur museau effilé. Les parents ont traversé le chemin faisant comme s'ils ne m'avaient pas vu, les ados à la traîne ont levé leur truffe vers moi, la mère s'est retournée, il m'a semblé qu'elle les pressait, allez, allez. C'est qui, lui? a demandé le plus petit. C'est rien, a répondu la mère, un vieux qui fait pipi.

On est au Vermont, bien sûr, sur mes terres à vélo, dans l'arrière-pays de Franklin, la chasse s'y prolonge deux semaines plus tard que chez nous, les coyotes courent les tripailles de chevreuils que les chasseurs abandonnent sur place, ils vont de ripaille en ripaille, j'en croise toujours à cette époque, toujours altiers, je crois vraiment que de tous les animaux, plus encore que le loup, le coyote est l'animal le plus éloigné des humains, idéologiquement s'entend, loin par cette distance infranchissable qu'installe le mépris.

On est dans l'arrière-arrière-saison qui offre encore quelques belles journées de vélo, souvent venteuses comme dimanche, les chemins sont maculés du fumier qu'on étend dans les champs dénudés, des fermiers en retard fauchent les derniers carrés de blé d'Inde, un vol d'outardes remonte vers le nord, pas par là, nounounes! J'ai roulé un peu plus que mon âge, 75 kilomètres à une vitesse dont je disais il y a quelques d'années: quand je serai rendu à rouler à cette vitesse-là, je lâcherai le vélo pour le tricot.

Peu après les coyotes, j'ai croisé une cycliste, elle descendait la petite bosse que je montais, on s'est arrêtés, je l'appelle madame cochon, en tout respect, son mari tient une immense porcherie à Bedford, salut Johanne, beau temps pour pédaler, juste pour voir, combien avez-vous roulé cette année?

Comme tous les ans, elle a roulé autour de 10 000 kilomètres, en fait 9500 à cause du mauvais printemps. Comment fait-elle avec deux enfants et 223 000 cochons? Anyway, parlant de cyclistes sur mon chemin, l'autre jour un monsieur me rejoint, la mi-trentaine, il me regarde: vous êtes M. Foglia? Je lui dis oui, alors il me dit: je me présente, M. Baker. Je suis de Bedford. Je suis le propriétaire des salons funéraires de Bedford et de Cowansville.

Un grand froid m'a envahi. Quand les propriétaires de salons funéraires te courent après en vélo, c'est parce que t'es vraiment très vieux.

LE RIRE NÈGRE - À consulter le palmarès des spectacles d'humour les plus populaires paru dans notre numéro de samedi, je me rends compte que je ne sais pas qui est Jean-Michel Anctil, que je n'ai aucune idée du genre de blagues que fait Lise Dion, jamais entendu parler de Cathy Gauthier, Guy Nantel, Laurent Paquin, Lévesque et Turcotte, Philippe Bond, Mike Ward, mais ne sautez pas aux conclusions, je suis plutôt bon public pour les spectacles d'humour, même si Jean-Marc Parent ne m'a jamais arraché un sourire, Mario Jean, Badouri, Lemire évidemment, André Sauvé bien sûr, Martin Matte me font rire la plupart du temps, pas autant que les frères Brosse jadis, que Paul et Paul et Ding et Dong et Deschamps, que Marc Labrèche, Pierre Brassard, mais bon, je ne vais pas vous infliger mon propre palmarès, encore que, un coup parti, je peux bien vous glisser que, aujourd'hui, en français, je ne vois personne pour s'approcher, même de très loin, de Fabrice Luchini.

Anyway, ce n'est pas mon sujet. Je veux parler ici d'une arrière-pensée qui me vient après chaque rire que me donne un humoriste, et il n'y a rien comme les arrière-pensées pour étouffer le rire.

Mon arrière-pensée a la forme d'une question: Est-ce bien sa joke à lui?

Ou est-ce la joke de Chose, d'Avard, de Laporte ou d'un autre nègre dont on relèvera le nom si on est bien attentif dans la bouillie des remerciements, je remercie mon papa, ma maman, l'éclairagiste, Chose qui m'aidé à écrire le show, mon agent, mon producteur et ma belle-soeur qui me fait du sucre à la crème écoeurant.

Question: Chose? Il a écrit 95% de ton show? Ou 80%? Ou 50%? Rien?

Vous me demandez ce que ça peut bien me faire?

Vous êtes drôle, vous, comme si je vous disais, vous savez, cette mienne chronique que vous avez appréciée il y a deux semaines? Ben, c'est pas moi qui l'ai écrite, c'est Yves Boisvert, il fait ça des fois pour un léger supplément, qu'est-ce que ça peut bien vous faire? Vous avez aimé? Bon, ben c'est l'essentiel.

Ne me demandez pas non plus pourquoi les humoristes ne pourraient pas interpréter leurs scripteurs comme les comédiens, comédiennes interprètent Ducharme, Tremblay, Molière. Justement, vous ne donneriez pas 10 cents pour voir votre humoriste préféré interpréter Molière. Vous allez voir son show parce que vous pensez qu'il est Molière.

Une fois c't'un gars, non, attendez, une fois c'est deux gars, dont un nègre.

NOTA BENE - Vous avez été nombreux à répondre à mon appel à tous en vue d'un probable reportage dont le titre serait, sera, Assassinats et qui parlera de ceux-là qui ont été tués sur la route par des petits cons (des grands aussi) qui faisaient la course, ou qui étaient soûls ou gelés. Je n'ai encore répondu à personne ou presque. Je devrais le faire dans les prochaines semaines. En attendant, merci.