L'autre jour, à La Presse, j'ai volé un livre sur le bureau d'un boss, et ce livre est en train de changer ma vie. Mais d'abord cette question: vous êtes-vous déjà demandé pourquoi votre boss était un si bon boss? D'où lui vient cette autorité bienveillante? Cette efficacité sans précipitation? Son leadership créatif?

Mais non, il n'est pas né comme ça.

Son secret? Il suit des cours en cachette avec les autres cadres de l'entreprise. Des cours de gestion pour devenir un meilleur boss encore. Il lit des livres comme celui que j'ai piqué justement. Les sept habitudes de ceux qui réalisent tout ce qu'ils entreprennent, c'est le titre. Stephen R. Covey, c'est l'auteur. «Plus de 15 millions d'exemplaires vendus dans 27 pays», 28 maintenant, depuis que le livre est sorti s'est ajoutée la Bosnie-Hergécoquine, la preuve que ça marche quand t'as de bonnes habitudes.

Première habitude, l'habitude d'être proactif, proactif est un euphémisme pour bouge-toi-le-cul et un euphorisme pour interactif; proactif n'est pas encore dans les dictionnaires, preuve de sa modernité, employé à toutes les sauces, on parle aussi bien d'un joueur de hockey proactif que d'un site sur le web proactif, j'ai même entendu parler d'une façon d'aimer proactive, vos chroniques ne sont pas du tout proactives, me reprochait une lectrice l'autre jour, elles vont le devenir, madame, c'est promis, laissez-moi finir le livre.

Dans les années 70, tout le monde il était beau, tout le monde il était gentil, au tournant du millénaire, tout le monde il était interactif, en 2012, tout le monde il est proactif, chaque fois le volontarisme monte d'un cran et la critique recule d'un pas, dieu soit loué, on entre tout doucement dans Le meilleur des mondes...

L'habitude numéro deux, la plus intéressante, c'est l'habitude de savoir dès le départ où tu veux aller dans la vie. L'auteur s'explique dans une mise en situation que j'ai adorée (page 106): tu te promènes dans la rue, tu passes devant un salon mortuaire, tu entres, tu t'avances vers le cercueil et, surprise, dans le cercueil, c'est toi qui es mort. Autour du cercueil, il y a des personnes qui parlent de toi, qu'aimerais-tu qu'elles disent?

Juste une petite parenthèse, vous savez combien coûte ce genre de séminaire aux entreprises? Une fortune. Mais ça vaut la peine. Ah si. J'ai eu souvent des boss méprisants qui se contrecrissaient, t'imagines pas comment, de ce qu'on pourrait bien dire d'eux quand ils seraient dans leur cercueil, sont beaucoup plus humains depuis qu'ils prennent des cours de thanatologie.

Je ne suis pas en train de dire que La Presse a viré su'l'top. Ces cours-là se donnent partout, et cela, depuis des années. J'ai un ami qui travaille au ministère fédéral de la Justice qui a mis la main sur le programme d'un cours de gestion pour les cadres supérieurs de son ministère appelé «Visionary Leadership (VL)», unique en cela qu'il incorpore à la notion de leadership, ici je cite: les nouvelles sciences quantiques, la biologie cellulaire, la programmation neurolinguistique et l'évolution de la conscience. Ce programme, de par le fait qu'il redéfinit les notions d'être humain, propose donc un changement de paradigme qui permet une transformation quantique au niveau de l'identité de l'apprenant...

Le tout pour 300 000$, c'est donné, je trouve, pour changer de paradigme.

Dans le livre que j'ai piqué, il y a justement une illustration de paradigme (page 33) d'une clarté époustouflante, t'es à Paris, nous explique l'auteur, tu dois aller quelque part, mais tu ne connais pas Paris, t'as bien un plan, mais c'est pas le plan de Paris, c'est le plan de Lyon. Tu ne te rendras jamais à destination, tu n'as pas le bon paradigme!

Demandez-vous pas pourquoi ils planent quand ils sortent de ces réunions-là.

L'habitude numéro trois, c'est l'habitude de donner la priorité aux priorités. Elle est assortie d'une citation de Goethe, dans ce livre chacune des sept habitudes est assortie d'une citation, ici: «Les choses qui importent le plus ne doivent pas être à la merci de celles qui importent le moins»... je trouve que Goethe ne s'est pas trop forcé, cela doit dater du temps où il était contremaître dans une usine de souliers.

L'habitude numéro quatre, c'est l'habitude de penser gagnant gagnant. Ça veut dire que lorsque tu gagnes, l'autre avec lequel tu viens de négocier, avec lequel tu as échangé, transigé, discuté, doit sentir qu'il a gagné aussi. C'est l'éloge du match nul.

L'habitude numéro cinq est sans aucun intérêt et l'habitude numéro six est assortie d'une citation de George Bush à laquelle je n'ai rien compris, je ne la reproduis pas de peur que vous me l'expliquiez. La septième et dernière habitude, c'est l'habitude d'aiguiser tes facultés, nouvelle mise en situation de l'auteur (page 283): tu te promènes en forêt, tu rencontres un type qui scie un arbre, il est épuisé, alors tu lui dis: prenez donc une petite pause, mon bon monsieur, le temps d'aiguiser votre outil, ça ira bien mieux. Et le type ne t'envoie pas chier, il ne te demande pas ce que tu fous dans son bois, il te dit: quelle bonne idée vous avez là.

C'est un livre où le merveilleux côtoie l'absurde et la métaphysique. En plus du livre, en plus du séminaire hebdomadaire, on remet à chaque participant un bâton d'orateur, sorte de phallus tarabiscoté, j'en ai volé un aussi, à sa base il est écrit: «chercher d'abord à comprendre», mais comprendre quoi? Où je dois me le mettre?

Les gourous ne méritent pas tous la mauvaise réputation qu'on leur fait, celui-ci tripote des concepts simplistes, mais avec une gravité de philosophe finalement distrayante, et c'est probablement pour se distraire que mes boss assistent à ce séminaire.

En tout cas, un de ces boss-là, pince-sans-rire, m'a suggéré l'autre jour une série sur les gourous et autres manipulateurs. Quelle bonne idée, j'ai dit. Voyez, je suis déjà devenu proactif.