Je vous ai déjà raconté comment j'ai rencontré, fortuitement, Jean-Marie Lapointe, le fils de Jean Lapointe, au chevet de Timothée, un ado de mon entourage qui se mourait d'un ostéosarcome à Sainte-Justine en 2002-2003. Bénévole pour Leucan, Jean-Marie accompagnait Timothée dont il était devenu le héros. Tous les proches du gamin, sa mère, son père, les voisins, les amis, tous vous le diront: Jean-Marie a illuminé les derniers mois de la vie de Timothée.

Tu ferais juste ça dans la vie: illuminer les derniers mois d'un enfant qui se meurt, tu devrais être éligible au prix Nobel de la bonté.

Vous avez compris que Jean-Marie est devenu mon héros aussi, en plus de me donner bonne conscience: si je peux avoir pour héros un artiste bronzé, alors c'est que je ne suis pas si nul que ça. Vous avez compris aussi que je ne dirai jamais un mot croche contre Jean-Marie. Je ne voudrais pas me vanter, mais ce n'est pas toujours facile.

***

Vous connaissez l'histoire de Joanna Comtois? Elle me fait beaucoup penser à l'histoire de Timothée. Papa québécois, maman française, rémission et résurgence, longue route vers une fin inéluctable, Jean-Marie en a fait un documentaire, plusieurs scènes avaient pour moi un petit air de déjà vécu avec Timothée, ainsi les sorties en chaise roulante autour de Sainte-Justine, ainsi la fusion du malade avec sa mère, ainsi l'hallucinant conseil des médecins autour du lit de la malade, débattant avec elle des moyens d'adoucir sa fin...

Joanna est morte le 11 février 2011. Comme Timothée, c'était une ado qui s'exprimait hyper bien, drôle, pleine de projets, ce n'est pas du tout un documentaire triste, mais ce n'est pas non plus un hymne à la vie comme le commentaire nous le suggère. Non, «Joanna ne nous apprend pas à vivre tandis qu'elle apprend elle-même à mourir». Comme souvent les jolies formules, celle-ci est creuse. Apprenant à mourir, Joanna nous apprend, tout simplement, à mourir aussi. Et c'est un apprentissage autrement difficile, autrement important. J'ai pour ma part pris bonne note de sa sérénité, et plus encore de sa lucidité, comme je l'avais déjà fait avec Timothée.

Le documentaire sera présenté à Canal Vie lundi prochain à 23h, double rediffusion le 16 février à 16h et 20h. Jean-Marie Lapointe n'en est que le coproducteur, la réalisatrice, Lisette Marcotte, est déjà l'auteure - avec Jean-Marie encore - d'un docu sur une expédition d'enfants trisomiques dans les Andes.

***

Au début du documentaire, on voit quelques fois Joanna avec son père, un monsieur qu'on devine fragile et fortement bouleversé par la maladie de sa fille. Il va d'ailleurs se suicider quand il apprendra que le cancer est revenu et que les chances de guérison sont nulles.

Avec le suicide du père, le drame prend une dimension très médiatique, mais ne sautez pas aux conclusions, ce ne sont pas les médias qui se sont jetés sur l'enfant, c'est la gamine qui les a sollicités.

Elle a commencé par émettre le souhait de chanter en duo avec Céline, pour cela Jean-Marie a joint René, puis Julie a embarqué et tout Quebecor a adopté la jeune fille. On voit défiler dans le documentaire les Pierre Bruneau, Chantal Lacroix, Charles Lafortune, Denis Lévesque, aussi les Paul Arcand, Andrée Lachapelle, Manon Leblanc (la décoratrice), Guillaume Lemay-Thivierge, sans oublier Jean-Marie. Disons-le: la gamine s'allumait littéralement au contact de ces célébrités qui lui ont organisé des fêtes, un défilé de mode, l'ont aidée à lancer sa fondation, et qui ont même redécoré sa chambre, en direct ou presque à la télé, deux entrevues avec Denis Lévesque, on devine l'hôpital Sainte-Justine pas du tout fâché de cela, Leucan non plus.

Deux choses.

Tout le long du documentaire, je n'arrêtais pas de me dire: mais comment se fait-il que je n'aie jamais entendu parler de cette histoire-là? J'ai interrogé des amis, des collègues, ma famille: Joanna? Cancer? Personne ne savait rien. Mais si, la jeune fille dont le papa s'est suicidé? Personne.

Jamais les deux réalités médiatiques québécoises ne m'avaient sauté dans la face à ce point-là. Pas deux éclairages différents. Pas deux points de vue opposés. Deux mondes différents qui ne s'interpénètrent pas du tout. Le monde Quebecor, et le nôtre. On a longtemps parlé au Québec de deux solitudes. Que diriez-vous de trois?

Deux choses, disais-je: à la fin du second paragraphe de cette chronique, je soulignais que Jean-Marie me donnait bonne conscience: si je peux avoir pour héros un artiste bronzé, alors c'est que je ne suis pas si nul que ça.

Mais faut pas exagérer non plus. Un héros. Pas douze autour du même cercueil.