Il a raison, le prof de Sorel. Dieu ne réunit pas ceux qui s'aiment. Dieu ne réunit pas les amants adultères. Dieu ne réunit pas les amoureux de même sexe. Dieu ne réunit pas les jeunes étudiantes pubères avec leur vieux professeur de philosophie. Dans le plus beau roman d'amour à avoir jamais été écrit, Dieu n'a pas réuni Anna Karénine et le colonel Vronski, ils s'aimaient comme des fous pourtant, mais elle était déjà mariée, la salope, et elle avait un enfant. Dieu ne réunit pas les divorcés, Dieu réunit ceux qui s'aiment à condition qu'ils suivent des cours de préparation au mariage et qu'ils promettent de ne pas employer de moyens contraceptifs.

Dieu ne m'a pas du tout uni à ma fiancée, même si je l'aime, ma fiancée vient d'Iberville, Dieu n'a jamais mis les pieds à Iberville.

Parle-moi d'un hymne à l'amour dont le dernier vers, Dieu unit ceux qui s'aiment, est un mensonge, et qui commence comment? Hein? Le savez-vous, comment commence cette soi-disant grande chanson, cette oeuvre d'art, disait la ministre de l'Éducation jeudi? Elle n'a pas dû l'écouter souvent.

Le ciel bleu sur nous peut s'effondrer, voilà comment ça commence.

Petite question sémantique, pourquoi, pensez-vous, «sur nous peut s'effondrer» plutôt que «peut s'effondrer sur nous» ? Pour la rime avec le second vers:

Et la terre peut bien s'écrouler!

Parle-moi d'un hymne à l'amour qui, en partant, fait rimer s'effondrer avec s'écrouler. Demandez-vous après ça pourquoi 88% des mariages finissent par une garde partagée. C'est pas une chanson d'amour, c'est un film catastrophe.

Deuxième couplet.

J'irais jusqu'au bout du monde

Je me ferais teindre en blonde...

Le bout du monde, c'est où? Singapour, mettons? Tu veux te faire teindre en blonde pour aller à Singapour? C'est pas un hymne à l'amour, c'est une chanson thème pour un congrès international de coiffeuses.

Troisième couplet. Je renierais ma patrie... Tu vas renier le Canada pour aller où? Attends, laisse-moi deviner, t'es blonde, tu dis? À Venise? En Provence? À Capri? À San Gimignano? À Ibiza? Pas à Cancún? À Cancún, oui? T'es pas juste blonde alors, t'es un peu filasse aussi, non?

«Je renierais ma patrie, je renierais mes amis»... et à la fin tu te renies toi-même. Il y a un film là-dessus, tellement triste, Adèle H, avec Isabelle Adjani. Elle y est folle amoureuse d'un con absolu et elle se renie profondément dans cet amour-là, j'ai vu ce film-là 10 fois au cinéma et au moins 300 fois dans la vie.

Si j'étais prof et que j'avais à donner à mes étudiants un cours sur l'amour, je leur ferais lire un petit livre d'Anne Hébert, son plus beau roman en fait, plus beau que Les fous de Bassan - cela s'appelle Aurélien, Clara, Mademoiselle et le Lieutenant anglais.

Clara est allée rejoindre le lieutenant à bicyclette qu'elle abandonne sur l'herbe aussitôt arrivée, elle porte une robe rouge. My god, dit le lieutenant, I did not expect such a lovely clown. Quelque pages plus loin, elle a ramassé son chapeau, son sac et ses gants, elle remet ses souliers à talons hauts, il lui baise alors la main (après tout le reste) et, «à voix basse comme s'il craignait de réveiller quelqu'un dans la pièce»:

Farewell, my love.

Le quatrième couplet est le plus mal écrit, on a dit de Piaf qu'elle pouvait émouvoir en chantant le bottin, en chantant le crottin aussi. La preuve.

Si un jour la vie t'arrache à moi...

Si tu meurs que tu sois loin de moi

Peu m'importe si tu m'aimes

Car moi je mourrai aussi

C'tu du bulgare mal traduit? Car moi je mourrai aussi.. CAR! Quand j'étais petit, un car comme celui-là dans notre copie, c'était un zéro assuré.

Quatre vers de charabia pour dire si tu meurs je mourrai aussi. Toi, fiancée, voudrais-tu mourir si je mourais? Mourrais-tu comme la belle de Cadix si je t'annonçais que j'avais une maladie grave?

Elle est morte comme ça, la belle de Cadix?

Mais oui, c'était la fiancée de Don Juan, quand il lui a dit qu'il avait le cancer de la prostate, et c'était même vrai, couic, elle s'est suicidée? Tu ferais ça?

Ben non, qui s'occuperait des chats?

Vers la fin du quatrième couplet:

Nous aurons pour nous l'éternité

Dans le bleu de toute l'immensité

Quel bleu? Il s'est effondré dans le premier vers: Le ciel bleu sur nous peut s'effondrer, branchez-vous, calvaire.

Si j'étais prof et que j'avais à donner à mes étudiants un cours sur l'amour, je leur ferais écouter Desjardins...

T'es tell'ment tell'ment belle

Un paquebot géant

Dans 'chambre à coucher

Je suis l'océan qui veut toucher ton pied

INVENTAIRE Des chevreuils, en veux-tu en v'là, des coyotes, le renard est plus rare, des ralliements de dindes sauvages, un raton qui a oublié d'hiverner et vient faire du raffut sur la galerie toutes les nuits, une mouffette aussi, un aigle américain (l'emblème lui-même), quelques polatouches, ces écureuils volants qui ne volent pas, ils planent grâce au parachute qu'ils ont sur le ventre, et un bien étrange mammifère que nous a rapporté un des chats cet été, un condylure étoilé, de la taille d'un petit rat, avec des pattes préhistoriques et un groin éclaté en son extrémité comme une fleur qui aurait des pétales de chair, si bien que, de face, le condylure a l'air d'avoir deux marguerites à la place de la tête.

J'ai oublié des orignaux, des castors, un opossum, parfaitement, un opossum, mais jusqu'à cette semaine jamais, encore, de porc-épic. Et voilà qu'il nous en est arrivé un ou une qui a établi ses quartiers dans un érable creux à l'orée du bois.

Mon livre sur les mammifères d'Amérique du Nord dit que le porc-épic n'est pas très futé, mais peut, néanmoins, devenir un compagnon affectueux. Il me rappelle quelqu'un. Plusieurs en fait. Je vais lui porter cette chronique à l'instant.