Quand, plus tôt cette semaine, madame Charbonneau a invité les citoyens du Québec qui ont été témoins de pratiques douteuses relatives à l'octroi ou à la gestion de contrats de construction dans leur municipalité à se manifester, je me suis posé une drôle de question: est-ce que Mme Charbonneau est une 514?

Ou autrement posé: Mme Charbonneau fait-elle une différence comme ce bon monsieur de Lafontaine entre les rats des villes et les rats des champs?

Il y a du 514 dans l'aplomb de son appel à tous, ce qui ne l'empêche pas d'avoir probablement un chalet à Saint-Benoît-du-Lac, mais se doute-t-elle que les mignons villages qu'elle traverse pour s'y rendre sont tout ce qu'on veut sauf paisibles? A-t-elle une petite idée des tensions souterraines qui règlent le quotidien du Québec rural? De la complexité des échanges inextricablement marqués de fausse naïveté, de calculs, d'intérêts et de défiance de tout «ce qui vient de la ville»...

Sait-elle, par exemple, que les conflits d'intérêts n'y sont pas perçus comme à la ville? À la campagne, un maire peut très bien se faire élire sur la promesse de dézoner un secteur du village où il projette lui-même de construire des condos pour les touristes... À Laval, tu dirais: ah le bandit! T'es pas à Laval, et c'est justement pas un bandit, c'est un honnête homme, je vous jure, un honnête homme. Tu lui dis: tu peux pas faire ça.

Pourquoi? s'étonne-t-il.

Tu lui expliques. Il ne comprend pas. Tu lui réexpliques, il se fâche et te renvoie à ta misérable condition de 514, d'importé, de touriste, même si ça fait 57 ans que tu habites son village. Il te regarde, découragé, renfonce sa tuque par en arrière en laissant sa main là, sur sa nuque: coute moi ben, t'es pas à Laval ici, on est du bon monde.

Où ça se complique, madame Charbonneau, c'est qu'il y a des gens du village qui vont répondre à votre appel, mais pas parce que le maire a fait dézoner pour se construire. Celui qui va vous écrire avait le contrat de déneigement depuis 14 ans. Le maire vient de le lui retirer, entre vous et moi, il était temps, il faisait une job de cul, il passait quand ça lui tentait, attendait les premiers flocons de la première tempête pour signer son contrat à la hausse.

Où ça se complique encore plus, Mme Charbonneau, chut, ne dites pas que c'est moi qui vous l'ai dit, la femme de l'ingénieur de la municipalité est la secrétaire du nouvel entrepreneur qui a eu le contrat de déneigement.

Ah ben là.

Allez donc faire la part du népotisme inévitable dans un village de 550 habitants, des chicanes ancestrales, des pratiques administratives d'une autre époque, et de l'opacité se réclamant invariablement du secret d'État: pourquoi tu veux savoir combien ça a coûté, les égouts? Tu viens d'où, toi?

Rappelez-moi la formule? Toute ressemblance avec des personnages existants ou ayant existé ne serait que pure coïncidence. Ce qui est aussi pure coïncidence, c'est qu'il y a élection demain dans mon village pour un poste de conseiller municipal à la suite de la démission d'une conseillère qui s'interrogeait justement sur les éventuels dépassements de coûts pour la construction d'un pont assurée par l'entreprise Genivar.

Ce qui n'est pas une coïncidence, par contre, dans mon adresse à Mme Charbonneau, c'est que j'habite la campagne depuis 35 ans, trois villages différents, je pourrais entretenir la commissaire des moeurs campagnardes pendant plusieurs jours.

Anyway, je ne suis pas sûr du tout que donner un coup de pied dans une fourmilière rend les fourmis plus civiles.

Quant à la chronique contre la délation qu'on attend de moi, je ne la ferai pas, je n'ai rien d'autre à dire que, à l'évidence, cette honte est devenue un mode de gouvernement. Je vous félicite toute la gang.

CINÉMA Je n'ai pas vu Monsieur Lazhar, j'avais capoté sur La moitié gauche du frigo il y a dix ans, un peu moins sur les films qui ont suivi, anyway j'aime bien Philippe Falardeau, ses réflexions sur le cinéma, ses petits coups de gueule sur l'art et la création (plus rares aujourd'hui), bref, j'espère qu'il va gagner l'Oscar du film étranger demain, non seulement j'espère, mais je suis presque sûr (avec CNN, dont il est aussi le favori) que Monsieur Lazhar va effectivement gagner.

Ce n'est pas qu'une intuition. Je viens de visionner le film iranien, Une séparation, que les critiques de cinéma donnent favori devant Falardeau. Je partage entièrement l'enthousiasme des critiques, Une séparation est un grand film, une histoire formidablement bien racontée, le rythme, la précision, la perfection des grands classiques, servi aussi par des acteurs incroyables, mais... mais justement, c'est trop tout en même temps, ce n'est plus un film, c'est presque, comme dit un de mes critiques préférés, c'est presque «une proposition cinématographique» et ça, une proposition cinématographique, ça ne rime pas tellement avec Oscar.

Il suffirait que Monsieur Lazhar - que je n'ai pas vu - soit juste un poil moins parfait, qu'il soit juste un peu moins une démonstration de cinéma et il gagne.

On est à Hollywood ou on n'est pas à Hollywood?

Puisqu'on est au cinéma, avez-vous vu Laurentie? Là, on n'est plus du tout à Hollywood, et les réalisateurs Mathieu L. Denis et Simon Lavoie ne sont pas partis pour y aller prochainement. On m'avait dit que je m'ennuierais dans ce film très lent: pas une seconde. Une seule réserve, le personnage principal s'y masturbe beaucoup et, comme il devient fou, on a un peu l'impression qu'on veut nous dire que la masturbation ne rend pas sourd comme on le croit, mais qu'elle rend fou.

C'est même pas vrai.