Cela m'arrive parfois: je lis un article, une chronique, mon cerveau souscrit à chaque mot, oui oui, c'est juste, c'est vrai, c'est exactement cela, en même temps que mon âme se révulse - mon âme! J'exagère! Disons, plus benoîtement, mon «dedans», mon fond, tiens -, mon fond se brouille soudain comme lorsqu'on touille la lie au fond d'une bouteille de vieux vin: non, non, pas Patrick Roy, s'il vous plaît, pas Patrick Roy.

La chronique dont je parle est celle que mon collègue des sports Philippe Cantin a signée l'autre semaine avant même que soit limogé Pierre Gauthier. Elle était titrée Une étincelle pour le Canadien, pour Philippe, «cette étincelle qui manque cruellement au Canadien», c'est Patrick Roy. Parce que, poursuit mon collègue, c'est un homme authentique, un passionné. Parce que malgré son attachement à Québec, sa véritable maison, c'est le Canadien. Encore ceci: il arrive parfois que des rendez-vous soient incontournables, celui du Canadien avec Patrick Roy est de ceux-là.

Je n'en doute pas moi non plus, plus personne n'en doute: Patrick Roy sera le prochain instructeur du Canadien.

Grand bien vous fasse. Je vous ai entendu dire toute l'année: holala, comme la violence au hockey est dépassée, quel spectacle dégradant pour nos enfants. Je peux poser une question? Les étincelles, il les fait comment Patrick Roy? En mettant le feu où? À qui?

Grand bien vous fasse, disais-je, pour ma part, je vais me remettre à haïr cette équipe comme au temps où ce même Patrick Roy en était le gardien dominant, suffisant et légèrement névropathe. Je ne suis pas comme vous: la victoire n'est pas tout. Tenez, par exemple: encore tout récemment, les Bruins me plaisaient bien, et puis, leur gardien Tim Thomas a refusé de se rendre à la Maison-Blanche pour ne pas avoir à serrer la main de M. Obama et voilà soudain que j'aime beaucoup moins les Bruins. Je suis comme ça. Je mélange tout. Il n'y a pas le sport d'un côté et la vie de l'autre.

On dit souvent que le sport est une métaphore de la vie. Je ne sais pas trop ce que ça veut dire. Tout ce que je sais, c'est que, dans la vie comme dans le sport, je ne me tiens pas avec des Tim Thomas, des Patrick Roy. J'ai pas besoin de gagner à ce point-là. Même que, contre ce genre de gagnants, ça ne me dérange pas trop de perdre.

À partir de tout de suite, je me remets à haïr viscéralement le Canadien. Je vais probablement devenir un fan des Nordiques. Voyez comme les choses sont tordues: je vais devenir un fan des Nordiques à cause d'un gars de Québec qui va diriger le Canadien. C'est la vie.

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C'est le sport plutôt. Cela faisait longtemps qu'on ne s'était pas parlé de sport, non? Pâques ramène habituellement mes premières chroniques de vélo. La saison a commencé bizarrement: en cuissard et t-shirt, pas de bas dans les souliers. Vous vous souvenez de ces quatre jours d'été l'autre semaine? Puis, le printemps est revenu d'autant plus frileux qu'on avait déjà goûté à la chaleur. Samedi, j'ai allègrement pédalé un 60 kilomètres frisquet et venteux. Allègrement, parfaitement. Mais non, je ne vais pas plus vite, c'est mon âge qui s'accélère. Si je puis me permettre: je roule maintenant à tombeau ouvert.

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C'est le temps aussi du March Madness. J'écris ces lignes à quelques heures de la finale Kentucky-Kansas. Quand vous les lirez, ces lignes, vous saurez que Kentucky a gagné. J'ai une chance sur deux de tomber juste. En fait, cette finale m'indiffère. Mon équipe, c'était Louisville qui s'est fait sortir samedi sans gloire. Louisville avec leur grand centre sénégalais un peu fragile. La fragilité, c'est une bonne idée pour danser le fox-trot. Vraiment pas pour jouer centre, au basket, dans la NCAA.

Anyway, quand ça adonne, je prends toujours pour Louisville, la ville où est né Cassius Clay devenu Muhammad Ali. Je suis déjà allé sur ce pont qui sépare Louisville et le Kentucky de l'Indiana, ce pont où Cassius Clay a jeté la médaille d'or qu'il venait de gagner à Rome dans les eaux brunes de la rivière Ohio. J'étais à vélo. Il pleuvait. Me suis arrêté au milieu du pont pour regarder dans la rivière si je ne verrais pas le ruban rouge et blanc de la médaille, même si ça faisait plus de 20 ans.

Le sport, c'est aussi ce genre d'histoire. Un soir, dans un bar de Blancs de Louisville, un Noir se fait rappeler qu'il est toujours un Nègre même avec une médaille olympique autour du cou. Alors le Nègre va jeter dans la rivière sa médaille d'or même pas en or.

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Parlant de médaille d'or, je ne serai pas à Londres cet été. Je me propose de chroniquer sur les Jeux en me promenant au Québec, peut-être à vélo, on verra. En fait, je me propose d'aller voir les Jeux chez vous. Si vous m'invitez évidemment. Je n'ose pas trop insister. La dernière fois que je vous ai dit invitez-moi, ç'a été un désastre. Un paquet de bonnes femmes m'attendaient pour me faire lire leurs pouèmes. Je vous avertis: pas de pouèmes cette fois. Le 3000 mètres steeple, le quatre sans barreur, le 500 mètres en K1, le sabre par équipe, le 400 mètres 4 nages, le 20 kilomètres marche. No fucking pouèmes.

Pas de farce, le gros malaise, la dernière fois, c'était surtout moi. Je ne suis pas doué pour les relations interpersonnelles, je veux pourtant essayer encore une fois avant de mourir. Je ne suis pas un vrai misanthrope, vous savez. J'aime les gens. C'est juste, comment dire? Je ressens souvent en leur compagnie un léger ennui que je n'éprouve jamais quand je lis Gracq, Dostoïevski, Flaubert, Balzac, Sollers ou quand j'ouvre un pot de confitures de pêches de vigne au pinot noir.