Les fans et les observateurs essaient d'expliquer ce qui se passe avec le Canadien depuis le début des séries. On a parlé de la prise du sommeil, on a voulu nier le talent d'Alexander Ovechkin, on s'est tourné vers Jaroslav Halak pour rationaliser l'élimination des Capitals de Washington...

Mais un très grand champion, une figure légendaire du XXe siècle, avait déjà inventé le système de Jacques Martin. Muhammad Ali, contre George Foreman au Zaïre en 1974, avait trouvé le moyen de battre un boxeur plus jeune et plus fort que lui. Le « rope-a-dope «.

Ali avait 32 ans, Foreman 24 ans. Tous les adversaires de Foreman, champion incontesté du monde, s'étaient fait liquider en moins de trois ou quatre rondes. Foreman était une brute effrayante. Ali, dès la première minute du combat, a réalisé qu'il n'avait pas les munitions pour rivaliser avec le champion. Foreman était plus gros, plus fort et cognait plus dur: «Dès la première minute, j'ai compris que George était le meilleur que j'avais jamais vu pour couper le milieu du ring. Pour chaque trois pas qu'il faisait, je devais en faire six. J'ai réalisé qu'à partir du huitième round, je serais vidé parce que j'aurais couru deux fois plus que lui. Il fallait faire quelque chose, il fallait changer de stratégie», a raconté Ali dans Le plus grand, le meilleur livre de sport que j'aie jamais lu.

Ali a défié toute l'histoire de la boxe. Et sa logique. Il s'est installé dans les câbles, s'est protégé le menton et le visage ainsi que le foie et le plexus quand c'était possible et il a dit à Foreman: «Viens, mon gros, viens me montrer ce que tu peux faire.»

Foreman s'est déchaîné pendant sept rondes sur Ali. Les coups de massue pleuvaient mais Ali se protégeait comme si Halak avait protégé son menton. Dans la dernière minute de chaque ronde, Ali sortait des câbles pour asséner jabs et crochets au visage de Foreman.

À partir du cinquième round, Foreman s'est mis à pomper l'huile.

Frustré, enragé, étourdi par sa propre fatigue, il a pris des risques. Finalement, dans les dernières secondes du huitième round, Ali a asséné quelques crochets de plein fouet et a mis Foreman hors de combat pour regagner le titre mondial. Et rentrer dans la légende.

Le Canadien joue le « rope-a-dope «. Jacques Martin s'est aperçu qu'il n'était pas capable de rivaliser avec les bons joueurs des Capitals. Trop rapides, trop forts, trop talentueux. Vouloir échanger jeu pour jeu avec Washington aurait été suicidaire. Fallait donc trouver une autre façon. Fallait se replier, fallait subir les charges, fallait épuiser l'adversaire, le frustrer, le décourager.

Mais ça demande du courage et de la détermination. Et le Canadien a montré qu'il était digne d'Ali. Depuis le début des séries éliminatoires, le Canadien a accordé 23 buts lors de ses quatre défaites. Mais seulement six buts au cours des cinq victoires. Autrement dit, Halak et les défenseurs érigent un véritable barrage devant le but et subissent les attaques sans jamais perdre leur concentration. Quand le barrage rompt, alors les buts s'accumulent parce que le « rope-a-dope « est par définition une stratégie de désespoir. Et une stratégie à haut risque.

On ne peut pas laisser la rondelle à l'adversaire et le laisser tirer à volonté et espérer toujours s'en tirer. Mais c'est la seule stratégie possible et Jacques Martin a convaincu ses hommes qu'ils pouvaient réussir. C'est son grand mérite.

Sur les épaules de Jaroslav Halak

Mais le « rope-a-dope « du Canadien repose entièrement sur les épaules de Jaroslav Halak. Le gardien étoile de la Flanelle est en contact régulier avec Roland Melanson, qui l'a aidé pendant son séjour avec le Canadien. D'ailleurs, Melanson avait recommandé à Bob Gainey de retourner Carey Price dans les mineures pour qu'il puisse apprendre ce qu'était la vraie vie du hockey. Pour prendre de l'expérience et de la maturité. Il va sans dire que cette recommandation n'a pas plu à Gainey et que Melanson n'a plus de job.

En apparence, Bob Gainey sort grandi de cette histoire. Des 15 joueurs qui ont quitté le Canadien, 14 ne sont plus dans les séries. Par contre, tous ceux que Gainey a emmenés avec le Canadien seraient en congé n'eût été de Jaroslav Halak que Gainey ne voulait plus voir avec le Canadien en février dernier. Ça s'équivaut, même s'il faut reconnaître que Gomez, Cammalleri et Gionta sont des acquisitions de très belle valeur dans ces séries.

Il se peut fort bien que Foreman-Pittsburgh continue de s'épuiser à frapper sur Halak. Il se peut que le Canadien gagne ce soir. De toute façon, le Canadien a déjà gagné son pari. C'était une équipe de parias après la dernière semaine désastreuse de la saison régulière. Aujourd'hui, ce sont des héros. La ville est folle, le Québec est amoureux et les analystes et commentateurs de RDS portent un chandail du Canadien.

Les vrais propriétaires de l'équipe vont être contents.