Guy Boucher marchait le long de Channel Drive, à une centaine de mètres de ses bureaux du Lightning. L'eau à sa droite, des palmiers qui bruissaient dans le vent chaud et doux, des maisons aux couleurs pastel de l'autre côté du canal, un soleil de plomb qui faisait du bien aux os, le coach était bien loin de Drummondville et des Voltigeurs: «Je suis à Tampa Bay. Coach dans la Ligue nationale. C'est quand même incroyable», a-t-il lâché en ralentissant le pas.

À Tampa Bay, où avec ses adjoints Martin Raymond, ancien capitaine des Redmen et coéquipier de Boucher, maîtrise en éducation physique, diplômé de McGill et Daniel Lacroix, ancien guerrier des Flyers de Philadelphie et de plusieurs équipes des ligues mineures, il dirigera une équipe comptant Vincent Lecavalier, Martin St-Louis, Steven Stamkos, Simon Gagné et quelques autres joueurs particulièrement doués. Mais une équipe qui manque de profondeur à la ligne bleue et devant le filet. Une équipe qu'il faudra organiser et inspirer. Les spécialités de Guy Boucher.

Les Flying Frenchmen de Tampa Bay!

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Le soleil et le canal de Tampa, c'était le présent. Plus tard, en buvant le café, Guy Boucher s'est permis un rare saut dans le futur. Pour un homme aussi rationnel et réfléchi, qui se fait une spécialité de continuellement analyser ses émotions et ses réactions avant de prendre une décision, c'était une audace.

On parlait des joueurs qu'on accuse faussement de jouer pour leur salaire et d'être parfois indifférents sur une patinoire et Guy Boucher expliquait qu'il faut mal connaître le hockey et l'être humain pour dire pareille ânerie: «Quand il y a 20 000 fans déchaînés dans un édifice et que les joueurs attendent le signal pour sauter sur la patinoire, leur vestiaire tremble littéralement sous les applaudissements qui éclatent dans les gradins. Je l'ai vécu à Ottawa avec Équipe Canada junior. Le building était plein de fans enthousiastes et on sentait trembler le vestiaire. Quand on va ouvrir la saison du Canadien le 13 octobre, quand les 21 000 spectateurs vont être impatients que ça commence, je le sais que les murs de notre vestiaire vont trembler. Mais j'en ai parlé avec mes vétérans, ils savent ce que c'est, ils vont être prêts», de raconter Boucher.

Il connaît la date, c'est un mercredi soir. Le 13 octobre. Il aura une pensée pour son père. Il n'aura pas atteint son objectif, Guy Boucher ne fonctionne pas de cette façon. Il sera tout simplement plus avancé dans son processus, dans sa démarche. Bien faire sa job.

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C'est un homme d'extrêmes. Quand je lui ai laissé un message au milieu du mois d'août pour prendre rendez-vous, une semaine s'est passée. Puis, le téléphone a sonné. C'était Guy Boucher: «Je m'excuse de ne pas avoir rappelé plus tôt, j'étais à mon chalet dans le bois», a-t-il dit. Je n'ai pas posé d'autres questions.

Il m'a raconté l'autre jour à Tampa: «Dans le fond, j'ai deux vies. Je suis ici, dans une belle maison qu'on tente d'aménager, je me prépare à donner la plus grande performance possible dans toutes les circonstances et l'été, je suis dans mon chalet dans les bois du Bas-du-Fleuve, sans électricité, sans télé, sans téléphone, sans rien. Ça me permet de travailler avec toute l'intensité dont je suis capable pendant l'année et de viser la performance. Ces semaines passées avec ma femme et mes enfants dans le bois me permettent de me ressourcer. De rester branché. Je retrouve mes racines avec Vincent et nos jumelles de 6 ans, Mila et Naomi. Pas de "e"», c'est ma femme qui l'exige», explique-t-il.

Soit dit en passant, sa femme, Marsha Akkerhus, est mi-québécoise et mi-hollandaise. Elle vient d'une famille qui a voyagé sur plusieurs continents. Qui a toujours laissé derrière elle les biens accumulés. C'est une femme tolérante qui est tombée amoureuse de Guy Boucher pendant les trois années horribles où un mystérieux virus l'a conduit aux portes de la mort. Il avait 25 ans. Mais le vrai test, qu'elle a passé haut la main, c'était le chalet: «C'était le test, une fille qui se plaignait toute la journée quand elle passait un moment au chalet, que ce soit les mouches, l'absence d'électricité ou le reste, ne durait pas longtemps dans ma vie. Quelqu'un qui veut vraiment me connaître n'a qu'à venir passer trois jours avec moi au chalet», dit-il.

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L'homme de 39 ans vient de signer un contrat de quatre ans avec le Lightning. Un vrai contrat de la Ligue nationale. Loin, bien loin des Voltigeurs de Drummondville et des Bulldogs de Hamilton. L'agente d'immeubles a vu l'occasion d'une belle passe. Elle a voulu lui montrer des maisons d'un million et demi, de deux millions: «Vous me comprenez bien mal, lui ai-je dit. Je veux une belle maison, mais dans un quartier normal où mes enfants vont pouvoir avoir une vie normale. Je ne cherche pas un château, je cherche du monde normal», raconte Boucher.

Ils ont trouvé la maison. Mais depuis, c'est une course contre la montre et contre les tiraillements de la bureaucratie américaine... et des grandes surfaces. Faut savoir quand acheter, comment organiser la livraison, où aller s'inscrire pour faire débarrer le compteur d'eau, dénicher les écoles, les médecins, les électriciens, les plombiers, la compagnie qui tond le gazon, celle qui s'occupe de la piscine...

C'est un tourbillon qui n'arrête jamais. Et c'est sa femme Marsha qui est dans le coeur de l'histoire: «C'est mon héroïne. Nous en sommes à notre 13e déménagement en neuf ans. Et c'est toujours elle qui se retrouve avec le gros du travail parce que j'ai déjà du boulot qui m'attend quand on arrive dans un nouvel endroit.»

L'autre jour, Vincent, son gars de 8 ans, a profité de la nouvelle piscine tout l'après-midi. Et en rentrant, il s'est installé devant l'écran plasma dans le salon. C'était déjà de l'acquis: «Je me suis assis avec lui. Je voulais qu'il comprenne que dans la vie, tout a un prix. Je lui ai dit que pour avoir cette belle piscine, il avait fallu que maman accepte de déménager 13 fois. Avec tout le travail et les sacrifices que ça veut dire. Et que cette télévision, il avait fallu travailler dur et dépenser beaucoup d'énergie pour l'offrir à la famille. Il a réfléchi et comme c'est un garçon doué et généreux, il a compris. Pour moi, c'était important.»

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Nous avons passé quatre heures ensemble. Qu'on parle du fameux chalet, qu'on parle de son goût pour les études, qu'on parle de cette façon de continuellement s'autoévaluer, on revient à son père. Wilfrid. Actuaire de profession et la plus grande influence sur la vie de Guy Boucher.

C'est Wilfrid qui lui faisait lire ma chronique dans La Presse quand il était enfant. C'est Wilfrid qui l'avait conduit au Forum à 14 ans pour qu'il vienne rencontrer l'humble chroniqueur dans le cadre d'un travail scolaire. Paraît que j'avais invité le jeune à m'accompagner sur la passerelle de presse et dans le vestiaire des joueurs après le match. Je dois me souvenir davantage de mes bêtises que de mes bons coups. J'ai oublié les détails, mais la veille de notre rencontre, Guy avait cherché dans les boîtes du déménagement la cassette de l'entrevue de 10 minutes qu'il avait réalisée ce soir-là: «C'est extraordinaire les détours de la vie; 25 ans plus tard, c'est toi qui viens à Tampa pour m'interviewer. Et tu m'avais expliqué que pour un journaliste, ce n'était pas de savoir comment écrire un article qui était le plus important, mais de savoir quoi dire. Ça m'avait tellement frappé qu'à l'université, j'ai fait des études en journalisme et en histoire. Guerres et sociétés.»

Il a également fait une mineure en biologie de l'environnement et il a terminé toute la scolarité de sa maîtrise en psychologie sportive. Il met la touche finale à son mémoire de maîtrise.

Son père serait content. Guy Boucher avait 17 ans quand la foudre a frappé. Il adorait son père. C'était son tuteur et son complice. Un cancer des os l'a emporté en quelques semaines. Sans avertissement: «Je dis ça mais dans le fond, mon père devait le savoir. Il était de cette génération qui ne se lamente jamais. Mais à Noël de cette année-là, il m'a tendu son fusil de chasse, un beau 12, et il me l'a donné en me disant d'en prendre soin. Je l'ai toujours et je veille sur lui. Il fait partie de mon patrimoine», dit-il.

Et si la vie (et les lois!) le permet, c'est un fusil qu'il va donner un jour à Vincent. Pour qu'il puisse chasser dans le Bas-du-Fleuve... pas loin du chalet de son père: «Mon père est mort le 1er juillet, la fête nationale du Canada et mon fils est né le 24 juin, la fête nationale du Québec. Je ne sais pas ce que mon père dirait de cette coïncidence», dit-il, soudain rêveur.

- Tu n'as rien oublié de ton père?

- Rien.

Les trois années qui ont suivi la mort de son père ont été des années difficiles pour le jeune homme de 17 ans. Plus rien n'avait de sens, il fallait prendre de nouvelles responsabilités, il fallait devenir un homme. Ce ne fut pas évident. Et il a dérapé des gros bouts: «C'est là que j'ai compris que je devais trouver le bonheur dans ce qui n'était pas évident. C'est arrivé souvent dans ma vie», dit-il.

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Photo fournie par Lucette Gaudreault

Le nouvel entraîneur-chef du Lightning de Tampa Bay, Guy Boucher, dans les locaux en rénovation de l'équipe.

Il n'oubliera jamais non plus Steve Yzerman. Faut dire qu'Yzerman est impressionnant. Toujours poli, délicat, il a une présence folle. Ce n'est pas pour rien qu'il fut capitaine des Red Wings de Detroit à 21 ans et qu'il l'est resté jusqu'à sa retraite. Un grand leader. L'aventure de Boucher a commencé par un téléphone de «Mister Yzerman». Ce dernier, avait déjà demandé la permission à Pierre Gauthier de parler à Boucher: «Il m'a appelé pour m'inviter à souper. Je lui ai dit que j'irais le rejoindre à Toronto. Il a dit non, je vais me déplacer près de chez toi», se rappelle Boucher.

«Cinq minutes après qu'on se soit présentés, je savais que c'était l'homme avec qui j'aimerais travailler. On avait les mêmes idéaux, les mêmes valeurs. Ce premier soir, on a discuté pendant quatre ou cinq heures. On n'a pas négocié, on a discuté. Des hommes, de leadership, de tout. Puis, on s'est reparlé au téléphone les cinq jours suivants. Toujours en échangeant des idées. Puis, le sixième jour, on s'est revus et là, on est allés plus loin», raconte Boucher.

Yzerman, que j'ai retrouvé dans son bureau du Lightning, a les mêmes souvenirs: «J'avais déjà une idée de l'homme. En travaillant avec Hockey Canada, je m'étais informé à son sujet. Et au cours de ces longues conversations, j'ai senti qu'il y avait un côté de lui qui me rappelait Mike Babcock. D'ailleurs, les deux ont passé par l'Université McGill. J'ai réalisé que j'avais devant moi le plus brillant jeune esprit du hockey. Et qu'il avait la force pour appliquer ses idées», de dire Yzerman.

Quand Yzerman a rencontré Boucher, il était encore auréolé par la médaille d'or de l'équipe canadienne, dont il était le directeur général, aux Jeux olympiques : «Il a été incroyablement simple et humble. J'ai été très impressionné. Pas intimidé mais impressionné», ajoute Boucher.

Le coach soutient qu'il ne se laisse jamais intimider: «L'intimidation, c'est un choix. C'est un pouvoir qu'on donne à l'autre. C'est nous qui en sommes la cause. Dans la vie, je ne suis jamais intimidé», dit-il.

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Guy Boucher termine son mémoire de maîtrise en psychologie sportive. Mais dans la vie, la psycho, c'est ce qu'il applique constamment. Il s'adresse à l'homme et cherche à le rendre meilleur: «Je ne veux pas dévoiler mes stratégies de coaching. La compétition est tellement féroce. Mais je ne m'adresse que rarement à une équipe. Au groupe. De toute façon, il y a le tiers des gars qui écoutent, le tiers qui ne sait pas trop et un dernier tiers qui n'en a rien à cirer. Je préfère rencontrer tous les joueurs individuellement. Chercher à déterminer leur point le plus fort, le genre de leadership qu'ils peuvent apporter à une équipe. C'est la clé, le leadership. Il y a trois sortes de leadership. Il y a celui qui pousse les autres de derrière, il y a celui qui soutient et il y a le leadership de celui qui traîne les autres à sa suite. C'est ce leadership que je recherche. Le leadership d'en avant. Le leadership qui rend les autres meilleurs.

«C'est donc ma première tâche avec le Lightning. M'attarder au leadership. C'est une composante majeure de mon travail. Ça fait des années que je lis sur le leadership. Il m'est arrivé dans le passé de commettre l'erreur de négliger cet aspect du coaching et je l'ai toujours payé», poursuit-il.

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On se retrouve dans les bureaux du Lightning. Partout, des ouvriers s'affairent. Guy Boucher a fait tomber des murs, percer des portes: «Mon bureau va être ici. Les coachs disent toujours que leur porte est ouverte aux joueurs. Moi, ça va être vrai. Ils vont devoir passer devant ma porte pour se rendre au vestiaire. Ils vont être invités à entrer. Si t'as quelque chose, parle-moi. On va voir ce qu'on peut faire. Mais prends le temps de communiquer», dit-il en posant devant le trou où sera située... la porte ouverte.

Et il va y avoir des changements dans le vestiaire. C'est lui qui va assigner les places. Et surtout, il y aura plein de photos de la conquête de la Coupe Stanley par le Lightning. Pour rappeler qu'on a déjà été grands, qu'on a déjà été les gagneurs ultimes.

- Et tes meilleurs souvenirs du Canadien?

Guy Boucher n'a pas vraiment répondu à la question. Mais ses yeux se sont éclairés quand il s'est mis à parler de Bob Gainey: «J'adorais Bob. J'avais une super bonne relation. On jasait des heures. Il est intéressé par les autres. Il est drôle, il est humain, il est doué d'un sens de l'humour fin.»

Je sais. J'ai connu aussi ce Bob Gainey. Tellement loin de celui qui s'était renfermé dans sa job. Comme dans une prison.

Guy Boucher est choyé. Il adore tout autant Steve Yzerman. Et après une petite demi-heure avec Yzerman, il est évident que c'est réciproque.

Les Flying Frenchmen seront en ville le 13 octobre.

Photo: Reuters

Steve Yzerman et Guy Boucher