C'est la grande tournée du dernier. Le dernier des grands. Le dernier de la dynastie. Ça commence demain à Sherbrooke et ça se terminera le 27 février à Québec. Pourquoi le 27 février? Parce que Joe Sakic voulait participer à cette tournée d'adieu et qu'il ne pouvait se libérer avant le 27 février.

Demain soir, Guy Lafleur va retrouver ses jambes de bientôt sexagénaire et va parcourir la patinoire de ses grandes enjambées. Les jambes sont moins fortes, les réflexes sont moins vifs, le souffle est plus court mais Guy Lafleur va encore éprouver le même plaisir viscéral. Celui d'un enfant jouant au hockey. Comme il le faisait à Thurso quand il se faufilait au petit matin par une entrée interdite de l'aréna pour aller patiner tout son soûl avant que les grands n'arrivent.

Les gens vont aller célébrer son adieu. Comme ils sont toujours prêts à aller entendre Charles Aznavour même si la voix est éraillée encore plus que le rythme de son pied battant la mesure est moins vif. Parce qu'à plus de 80 ans, Aznavour sait encore chanter l'amour et qu'il sait toucher le coeur des gens.

Lafleur, à 59 ans, sait encore jouer et il sait encore toucher le coeur des gens.

Un homme franc

La semaine dernière, Lafleur participait à Tout le monde en parle. Il a été franc. Il a noté qu'il avait signé un nouveau contrat comme ambassadeur du Canadien et qu'il devrait sans doute faire plus attention quand il serait tenté de critiquer la direction de l'équipe. Vingt secondes plus tard, c'était plus fort que lui, il répondait à une question qu'il aurait préféré qu'on garde Carey Price et Jaroslav Halak... au moins jusqu'aux Fêtes. Vlan! Que la direction mette ça dans sa pipe.

Dans la même émission, Lafleur a tout juste glissé qu'il revenait d'Afghanistan où il avait rencontré les soldats, question de leur remonter le moral.

Ça adonne bien. C'est la lettre d'un de ces soldats qui m'a convaincu d'écrire cette chronique. Je l'ai reçue lundi. Elle est signée par Luc Savoie, pilote d'hélicoptère militaire. Je vous en donne de larges extraits. Vous jugerez.

«Je vous écris de Kandahar... M. Lafleur nous a récemment visités ici en Afghanistan. C'était sa troisième visite depuis le début de l'implication canadienne dans le pays. Il était accompagné par d'autres joueurs et des musiciens. Il s'est fait trimbaler de gauche à droite pendant plusieurs jours sans jamais se plaindre ou même avoir l'air fatigué. Je n'avais jamais rencontré M. Lafleur avant. C'était une vedette qui avait meublé mes rêves d'enfance. (...) Donc, il est 22h30 et je me rends à la Maison du Canada voir les musiciens faire un concert plus intime. M. Lafleur est là; ça fait depuis tôt le matin qu'il fait le tour des unités et qu'il serre des mains et signe des autographes.

Je m'approche et lui demande si je peux me faire prendre en photo avec lui. Étant aussi pilote d'hélicoptère, la conversation dévie tout naturellement vers l'aviation. M. Lafleur est constamment interrompu par des gens qui veulent lui serrer la main, en quête d'autographe ou de photo. Sans exception, il prend le temps et s'exécute sans jamais perdre patience ou faire sentir au fan qu'il est pressé ou fatigué.

Je le vois répéter ces gestes des dizaines de fois. Il a sur lui toutes sortes de crayons pour pouvoir signer sur des vêtements, du métal, sur du carton, sur du noir, etc... vous savez, je n'ai jamais couru après les vedettes mais je dois admettre que le jeune garçon en moi était hyper content de l'avoir rencontré et que je vais garder un souvenir impérissable de Guy Lafleur, probablement le dernier Grand à avoir porté l'uniforme tricolore.»

Et le militaire ajoute: «En passant, vous avez raison; Lafleur mérite en effet tout un contrat du Canadien parce qu'en public, il est l'ambassadeur du club, qu'il soit commandité ou pas.»

Voilà.

Une lettre

Et puis, il y a Marie-France Revelin qui m'a profondément ému quand j'ai lu son courriel. Elle est la fille de Jacques Revelin, ancien journaliste de L'Action à Québec. Elle raconte qu'elle et son père étaient en froid et ne s'étaient pas parlé pendant des années. Et puis, en 2000, elle a appris que son père subissait les premiers symptômes de la maladie d'Alzheimer.

Elle ne savait pas trop comment se réconcilier. Un dimanche, sans raison, elle s'est retrouvée à un tournoi de hockey à Boucherville. Un homme, élégant et droit comme un chêne, lui a ouvert la porte de l'aréna. C'était Guy Lafleur. Elle a été complètement bouleversée.

Marie-France a fait la queue de longues minutes pendant que Lafleur signait des autographes. Elle a attendu et attendu. Finalement, m'écrit-elle, elle a pris son courage à deux mains et s'est rendue jusqu'à Lafleur. Une petite voix lui disait que c'était Guy Lafleur qui permettrait cette réconciliation. Elle lui a parlé de son père et de ce qui s'était passé. Il serait tellement heureux de recevoir un petit mot de Guy Lafleur, son favori, pour son anniversaire, le 18 avril.

Lafleur a demandé l'adresse et le nom de son père. Elle lui a écrit les infos à l'endos d'une carte professionnelle.

Quelques jours plus tard, Lafleur l'a appelée pour lui dire que la lettre était partie.

Quand son père a ouvert l'enveloppe et qu'il a lu que Lafleur avait rencontré sa fille et qu'elle lui avait demandé d'écrire un mot, il s'est mis à pleurer. Ti-Guy, son idole même quand il était journaliste! C'était le plus beau cadeau. Il a fait les premiers pas et a pris le téléphone et a joint sa fille.

Ils se sont retrouvés. Elle lui a présenté ses filles, elle a parlé de sa vie, ils ont pleuré... puis, inexorablement, l'horrible maladie a exercé ses ravages. Il est mort quatre ou cinq mois plus tard.

Elle conclut sa longue lettre, que j'ai malheureusement dû résumer en lui enlevant beaucoup de sa magie: «Quand je raconte cette histoire, les yeux des gens brillent. Je fais partie comme vous de ceux qui ne demandent pas pourquoi il fait cet effet-là. Guy Lafleur, un homme avec ses forces et ses faiblesses, mais aussi d'honneur, d'exception, de devoir et, comme dirait mon père, d'Action. Comment peut-on dire adieu à des gens comme lui? En lui écrivant un mot peut-être aussi.»

La tournée commence donc à Sherbrooke.