Des fois, on fait juste oublier. On pense avoir l'idée du siècle et on ignore ce qu'on saccage. Quelqu'un chez le Canadien, sans doute Raymond Lalonde, le prince du marketing en personne, a dû recevoir l'idée d'un joker du marketing de chez Bell et est tombé dans le piège.

Et depuis le mois d'octobre, ce sont les fans et surtout les fefans qui procèdent à la sélection des trois étoiles d'un match en pitonnant sur leur portable. Sans doute en utilisant le réseau de Bell.

Dans le fond, c'est le progrès, diront certains. Et d'autres ajouteront que c'est la démocratisation du hockey. Les moins naïfs auront compris que c'est avant tout pour générer du trafic et du contenu sur son réseau et pour maximiser ses investissements dans le Canadien, le Centre Bell et le réseau RDS qu'il possède totalement que Bell a eu cette «brillante» idée.

Hier, Richard Labbé, une des étoiles de la jeune génération, a mis en doute le bien-fondé de cette nouvelle politique. C'était un bon papier.

Mais il aurait pu aller beaucoup plus loin. La sélection des trois étoiles d'un match est née d'une idée pure. Et j'oserais dire noble. Elle est d'ailleurs née à Montréal et à Toronto, l'histoire n'ayant pas retenu son lieu de naissance.

Mais c'était pour récompenser des joueurs qui ne gagnaient pas une fortune à l'époque. On leur offrait la chance de se faire applaudir par la foule après une belle performance. C'était un honneur.

La sélection des trois étoiles remonte sans doute au journaliste Charles Mayer. D'ailleurs, on le présentait toujours à la radio en l'appelant Charlie «Trois Étoiles» Mayer. Il avait une voix nasillarde et à la fin de la description du match par Michel Normandin, M.Mayer venait donner son choix des trois étoiles. Et il expliquait pourquoi Maurice Richard, Ted Lindsay et Red Kelly méritaient leurs étoiles.

M.Mayer était directeur des sports au Petit Journal qu'on dévorait le vendredi soir, couché sur le plancher de la cuisine devant le gros poêle à bois Bélanger.

C'est également lui qui créa la Ligue du vieux poêle.

Plus tard, Jean-Maurice Bailly et Red Fisher furent ceux qui choisirent les trois étoiles à la Soirée du hockey. Jean-Maurice était grand fan, mais il tentait de respecter les adversaires du Canadien.

Tout le hockey adopta la vieille tradition des trois étoiles d'un match. Tant dans la Ligue américaine que dans les ligues mineures.

Dans les années 70, on créa la Coupe Molson. Une idée de Ronald Corey, alors directeur du marketing chez Molson. Le but de la promotion étant de rentabiliser la belle tradition en y accolant le nom de Molson. Et ce faisant, Corey réussissait à faire imprimer le nom de Molson dans les comptes rendus dans les journaux.

Les journalistes affectés à la couverture du Canadien n'aimaient guère l'entourloupette. Nous étions cinq. Al Strahan de la Gazette, Red Fisher du Montreal Star, Yvon Pedneault du Montréal Matin, Bertrand Raymond du Journal de Montréal et le chroniqueur de La Presse.

M.Corey nous offrit donc de choisir les trois étoiles. Nos journaux hésitèrent mais en fin de compte, ils acceptèrent parce que c'était une bonne pub gratuite quand on annonçait à la télé après un match que les trois étoiles avaient été choisies par M.Yvon Pedneault, du Montréal Matin. Le journaliste recevait 50$ pour ses efforts et le journal une publicité à la télé.

L'exercice était passionnant. D'abord, des centaines de milliers de téléspectateurs pouvaient juger le choix du chroniqueur. Et régulièrement, on pouvait procéder à une analyse des sélections. Ainsi, quand c'était un francophone qui votait, Guy Lafleur recevait plus de votes de première étoile. Alors que les soirs des anglophones, c'était Peter Mahovlich. Rappelez-vous que c'était les grandes années du PQ et de l'avant-référendum.

Et les joueurs accordaient une grande importance à l'honneur. Parce que c'était des professionnels qui se prononçaient.

Les journalistes qui nous ont succédé ont continué le travail. Et ont tenté de choisir les plus méritants en se basant sur leur expérience et leur expertise.

Ce n'était pas parfait mais au moins, c'était un professionnel capable de voir les deux équipes sur une patinoire qui votait.

Parce que, et vous pouvez faire l'expérience vous-même, à part de rares exceptions, les fans ordinaires ne regardent que la moitié d'un match. Ils voient leurs favoris et c'est tout. Ils ignorent la plupart du temps quels joueurs faisaient face au trio de Gomez ou quelle paire de défenseurs affrontait Plekanec. Qui donc jouait en désavantage numérique pendant la deuxième minute de la punition pour Tampa Bay? Le fan moyen n'en a aucune idée parce qu'il ne regardait que ses favoris. Il sait quels joueurs formaient la deuxième unité de l'attaque à cinq, mais il ignore complètement quels étaient leurs opposants. Et c'est comme ça à la grandeur de la Ligue nationale.

Au fil des années, la présentation des matchs est devenue de plus en plus un spectacle pour la télévision. Et c'est bien correct ainsi, les choses évoluent.

Ces dernières années, c'était souvent Jacques Demers qui était volontaire pour choisir les étoiles des matchs du Canadien. Il n'avait pas à répondre publiquement de ses choix, mais comme ancien entraîneur et directeur général, on accordait une crédibilité certaine à ses étoiles.

Mais la commercialisation à outrance de ce qui était à l'origine un honneur sincère conféré à trois joueurs qui s'étaient surpassés a enlevé tout sens et toute crédibilité à ce qui était une fort belle tradition. Une belle tradition qui est née à Montréal et à Toronto et qui s'est propagée à Los Angeles, Atlanta, Tampa Bay ou même Hamilton et la Floride.

Dans certaines villes, le choix des trois étoiles d'un match a encore un certain sens. Mais là où la tradition est née et a grandi, en plein coeur de Montréal, c'est devenu une autre plogue pour vendre du nénan aux fefans.

Mais c'est correct, faut bien faire des profits partout si on veut rembourser les 575 millions que ce cher Oncle George a obtenus pour son entreprise.

Et puis, est-ce qu'on s'en fout. En autant qu'on gaaaaaaaagne.