La porte du vestiaire s'est fermée et on aurait entendu voler une mouche. Les parents et amis de Jean Pascal se tenaient le long des murs pour ne pas ajouter à la déception horrible que vivait Jean Pascal.

Le champion défait était assis au fond de la pièce. Sa tuque enfoncée sur la tête, une serviette sur sa nuque baissée. Son demi-frère et une femme, sans doute sa mère ou sa tante, se tenaient devant lui. Ils parlaient tout doucement.

Rob Schinke, le psychologue de Jean Pascal, était debout à quelques mètres de la scène. Il faisait signe de ne pas approcher Pascal.

Il faut réaliser qu'à la boxe, le perdant se fait battre. Dans tous les sens du mot. Ce n'est pas une défaite comme au tennis où on se serre la main en souriant. On perd parce qu'on s'est fait battre. Et le visage marqué de Jean Pascal rappelait qu'il avait été battu. À coups de poing.

Dans ce temps-là, on oublie que le vainqueur a lui aussi le visage boursouflé et tuméfié. Mais il n'a pas été battu, lui.

Je me suis approché malgré le signe de Schinke. Surtout pas pour poser une question, mais juste pour rappeler à Jean Pascal une vérité que des années d'expérience m'ont permise de vérifier plusieurs fois. «Tu sais, il faut être fier du combat. J'ai vu perdre Muhammad Ali et je l'ai vu revenir. J'ai vu les plus grands champions perdre un combat et revenir. Tu es avec eux.»

Pascal a levé la tête. «Je suis très déçu, c'est normal. Mais je ne suis pas gêné de ce que j'ai fait. J'ai vraiment donné tout ce que j'avais. Mais pendant quelques rounds, au milieu du combat, je voyais double. Même que je ne voyais plus d'un oeil pendant tout un round. Ça m'a dérangé. Mais c'est un boxeur dur et je ne veux rien lui enlever.»

Il s'est appuyé contre le mur. Deux ou trois de ses parents ou amis se sont approchés. Il fallait le laisser avec les siens. Avant qu'il ne vienne faire face aux dizaines de journalistes qui l'attendaient.

Je suis sorti en silence. Une dizaine de femmes étaient assises, certaines avaient les yeux remplis de larmes. Varda Étienne, la plus explosive des animatrices à la radio et à la télé, était bouleversée, assise avec les autres. Elle avait de la peine pour son ami Jean Pascal.

Le beau champion capable de clamer haut et fort sa force et son courage avant un combat avait besoin de réconfort.

* * *

Cette défaite contre Bernard Hopkins va forcer Jean Pascal à s'améliorer. S'il consacre la prochaine année à bien étudier ce qui s'est passé contre Hopkins, il redeviendra champion du monde. Jean Pascal a le physique et les qualités athlétiques pour réussir sa remontée au sommet. Samedi soir, il voulait tellement fermer la gueule de Hopkins qu'il n'a pas été le brillant boxeur qu'on avait vu contre Chad Dawson. Il voulait cogner le grand coup, il voulait faire mal à Hopkins. Contre un adversaire aussi fort mentalement, aussi habile et expérimenté et aussi doué, c'était prendre un trop grand risque.

Hopkins a été patient, il a laissé Pascal venir à lui et à partir du cinquième round, il a placé son jab là où il le voulait et s'est mis à contrôler la plupart des échanges.

Dimanche, alors que la défaite était encore toute chaude et cuisante, tout le clan Pascal s'est réuni pour terminer le débriefing de la soirée. Et Jean Pascal, qui est intelligent, a reconnu qu'il s'était laissé emporter, qu'il avait été impatient et qu'il n'avait pas su imposer son rythme au combat. En fait, à Québec, Hopkins avait endormi Pascal en jouant à fond la carte du respect, cette fois il l'a trop réveillé en jouant au salaud. C'est la deuxième fois que Bernard Hopkins impose sa marque à Jean Pascal avant même le début d'un combat. C'est une très grande leçon que Pascal devra comprendre.

Pascal était plus jeune, plus fort et, en théorie, plus énergique et explosif. Ce qu'on a vu pendant ce combat, c'est un homme, Hopkins, qui boxait comme un spécialiste des arts martiaux, c'est-à-dire avec une retenue et une concentration absolues, et un jeune qui voulait lui régler son compte trop vite et avec trop d'ardeur. En fait, Jean Pascal a boxé avec son coeur et ses tripes et pas assez avec son cerveau. Mais contre Bernard Hopkins, ils sont 99% à faire comme lui. Ce n'est pas honteux.

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Hier, Yvon Michel était très optimiste pour la suite des choses. Le réseau HBO a vécu une soirée extraordinaire avec ce combat... et l'ambiance survoltée qui régnait au Centre Bell. «Les dirigeants de HBO m'ont déjà parlé. Ils vont rester totalement fidèles à Jean Pascal. Il a du talent, du coeur et du panache. Il va obtenir une autre chance pour un match de championnat du monde. Sans doute devra-t-il livrer un combat contre un adversaire crédible et, par la suite, je suis convaincu qu'il aura une autre chance. Ça va se faire d'ici un an tout au plus.»

Pour GYM, c'est une bénédiction que la valeur au box-office de Jean Pascal ne soit pas trop diminuée. Il est la grande vedette qui permet à l'entreprise de jouer dans les ligues majeures. Comme Lucian Bute l'est pour InterBox.

Un dernier mot sur Bernard Hopkins. Cet homme à l'air si féroce et prédateur avant le combat est vite devenu un gentleman dans les minutes qui ont suivi sa victoire. Il a parlé avec respect de Jean Pascal mais sans s'empêcher d'analyser ce qui avait causé sa défaite. Et il a reconnu avec un sourire (!) qu'il était sans doute le roi des petites et grosses parties mentales.

On s'en doutait.

DANS LE CALEPIN - Une grande soirée de boxe ne peut être une grande soirée sans un parterre bien garni. Il manquait Anne-Marie Losique. mais Mitsou et Caroline Néron y étaient ainsi que Normand Legault, Marcel Aubut, Éric Lapointe, Pierre Dion, Charles Benoît, Jean-Michel Anctil, Mike Bilodeau, François Dumontier et 17 495 autres passionnés. On a remarqué également plusieurs clientes du docteur Jacques Papillon.

Photo: Bernard Brault, La Presse

Yeux fermés et bras croisés, Jean Pascal a cherché à reprendre contenance après sa défaite par décision unanime aux dépens de Bernard Hopkins, samedi soir au Centre Bell.