Il n'y avait pas que de beaux discours pacifistes à la manifestation montréalaise du 10 janvier dénonçant l'offensive israélienne à Gaza. Appeler à la destruction de Tel-Aviv, chanter les louanges du Hezbollah ou traiter les juifs de «chiens» n'est pas tout à fait ce que j'entends par «discours pacifistes».

Les slogans haineux, quels qu'ils soient, n'ont pas leur place dans une manifestation qui se veut pacifiste, ça va de soi. Ces discours sont inacceptables et doivent être dénoncés. Jusque-là, je suis parfaitement d'accord avec les gens du Comité Québec-Israël et du Congrès juif, qui ont présenté aux médias cette semaine des vidéos troublantes, indignes de Montréal, dans lesquelles on voit une poignée de manifestants lancer des slogans anti-Israël d'une violence inouïe.

Là où je ne suis plus d'accord, c'est quand ces dérapages deviennent des prétextes pour discréditer la manifestation dans son ensemble et la qualifier de «pro-Hamas». Comme si on laissait entendre, finalement, qu'il n'y a que deux attitudes possibles devant le conflit israélo-palestinien : soit vous appuyez Israël, soit vous êtes du côté des terroristes. Une rhétorique guerrière tout aussi fausse que stérile. Car, faut-il le rappeler, ce n'est pas parce que l'on critique l'État d'Israël, force occupante qui bafoue en toute impunité le droit international depuis 40 ans, que l'on louange pour autant les fanatiques du Hamas et leurs actions autodestructrices.

Le Comité Québec-Israël reproche à des syndicats et à des partis politiques présents à la manifestation de samedi d'avoir cautionné par leur silence des slogans haineux. Il leur reproche d'avoir confondu la solidarité avec le peuple palestinien et la diabolisation d'Israël. Il parle même de «faillite morale». Il n'y a rien de moralement édifiant dans des discours d'extrémistes prônant l'anéantissement d'Israël, j'en conviens. Mais comment au juste les organisateurs d'une manifestation qui a réuni 10 000 personnes peuvent-ils être tenus responsables des écarts de conduite d'une infime minorité - surtout quand on sait que la majorité des slogans haineux en question ont été prononcés en arabe, dans une langue qu'ils ne comprennent pas?

Toute manifestation du genre comporte un risque de dérapage. Celle de Montréal n'y faisait malheureusement pas exception. Mais on ne peut pour autant en imputer la faute aux organisateurs (qui se sont par ailleurs très vite dissociés de ces propos haineux une fois qu'ils en ont été informés).

Ce dont les organisateurs sont responsables, c'est de leurs propres discours, qui donnent le ton à la manifestation. Y a-t-il eu appel à la violence dans ces discours? Non. Y a-t-il eu des slogans antisémites, pro-Hamas ou pro-Hezbollah? Non. Y a-t-il eu diabolisation d'Israël? Non. Le communiqué officiel publié la veille de la manifestation ne fait d'ailleurs pas que condamner l'intervention israélienne. Il appelle aussi le Hamas à cesser ses tirs de roquettes sur la population civile israélienne. Les organisateurs auraient-ils pu être encore plus fermes dans leur condamnation du Hamas? Sans doute. De là à les rendre complices des extrémistes qui profitent du désespoir d'un peuple opprimé, il y a un pas.

Il n'est pas question ici d'être aveuglément pro-palestinien ou pro-israélien. Chacun des camps a évidemment ses torts et ses victimes. Aucun n'a le monopole de la vertu.

Personne ne peut prétendre être neutre et objectif devant ce conflit têtu et complexe. Le défi, c'est d'être pro-paix et de ne pas nier, quoi qu'il arrive, l'humanité de l'Autre, qu'il soit israélien ou palestinien. En scandant des slogans haineux anti-juifs, une poignée de manifestants ont de toute évidence failli à ce principe vital.

Mais en récupérant ces slogans haineux pour discréditer les organisateurs de la manifestation du 10 janvier, certains membres de la communauté juive ont malheureusement eux aussi failli à ce même principe. Leurs accusations outrancières de complicité, loin de créer un sain débat, ne font que diviser davantage les différents camps. Pire encore, cela donne l'impression que l'on tente d'occulter le drame humain de Gaza en criant à la barbarie des manifestants.

Il y a quelque chose d'obscène à discuter de tout cela alors que, depuis trois semaines, 13 Israéliens et 1200 Palestiniens ont été tués, dont 410 enfants, au nom de ce qu'on essaie de faire passer pour un simple «devoir de défense». Quelque chose qui ressemble à ce que le spécialiste du Proche-Orient Alain Gresh appelle du «terrorisme intellectuel». Une manière «d'empêcher tout débat en apposant un sceau d'infamie sur ses adversaires» (Israël, Palestine. Vérités sur un conflit. Fayard, 2002).