«Que pensez-vous d'accepter les toutous et les toutsis qui s'entretuent? Les sidéens de l'Afrique? Les Afghans? L'Islam? À quoi servent les pays respectifs?»

Il y a des jours où lire mon courrier est très instructif. À la suite de ma chronique «Bienvenue chez nous, mais restez chez vous», dans laquelle je critiquais la politique fédérale d'accueil des sinistrés haïtiens, des lecteurs aguerris n'ont pas eu peur de me poser les «vraies» questions.

 

Qu'est-ce que je pense, donc, de la politique d'acceptation des toutous? Bonne question. Merci d'avoir pris la peine de m'écrire, madame. C'est une question délicate, qui incite à la réflexion. Et tout bien pesé, les toutous, je suis contre. Les tatas aussi, d'ailleurs. On en a bien assez comme ça.

Prochaine question? «Le Canada n'est-il pas assez généreux comme ça?» m'ont demandé plusieurs lecteurs, qui n'ont sans doute pas applaudi hier la mise sur pied par Québec d'un programme exceptionnel de parrainage élargi pour les sinistrés d'Haïti - une très bonne nouvelle pour les Haïtiens qui pourront en bénéficier.

Assez généreux, le Canada? C'est bien sûr ce que martèle le gouvernement Harper. Mais, à mon sens, un certain scepticisme s'impose. Comme l'observe avec justesse François Crépeau, professeur de droit international à l'Université McGill, on est avant tout ici dans l'opération politique. «Je crois que les individus peuvent être généreux mais que les États ne le sont pas. Ils agissent dans leur intérêt politique.» Accueillir des sinistrés permet d'envoyer un bon message à la communauté haïtienne du Canada. Cela permet d'envoyer un bon message à Haïti. Cela envoie aussi le message à la communauté internationale que le Canada joue son rôle. L'intérêt politique, il est là.

Autre question soulevée par plusieurs lecteurs: n'est-il pas injuste d'aider Haïti si l'on n'aide pas aussi tous les autres pays miséreux? J'ai aussi posé la question à Me Crépeau, qui est expert en droit des réfugiés et en migrations internationales. Sa réponse: «On invoque toujours la vertu quand cela nous sert.» Pourquoi Haïti et pas le Darfour? Tout simplement parce que nous avons ici une grande communauté haïtienne, mais pas de grande communauté darfourienne. La communauté haïtienne a une influence politique non négligeable, un ancrage réel dans nos institutions. Il y a des députés d'origine haïtienne au Parlement. Ce sont donc des gens qui comptent, d'un point de vue politique.

Dans le domaine de la politique internationale, il n'y a pas d'égalité, rappelle Me Crépeau. Tout est encore une question d'intérêts. «On ne va pas traiter les Haïtiens comme on traite les Darfouriens tout simplement parce qu'on n'a pas les mêmes relations avec Haïti et le Darfour.» Dire qu'il ne faut pas accueillir d'Haïtiens par souci de solidarité avec les Darfouriens est une façon pour le moins tordue de concevoir l'égalité. «Si on utilise l'égalité entre les pays ou entre les communautés pour empêcher les gens de venir, c'est un usage du droit à l'égalité qui est méprisable!»

Dernière question posée par un grand nombre de lecteurs: à quoi bon faire venir ici des Haïtiens si c'est pour que l'État les prenne en charge? Avons-nous les moyens de payer l'aide sociale pour tous ces gens? À mon sens, lorsqu'il y a une volonté, on trouve toujours les moyens. Cela dit, la question ne se pose même pas ici. Que ceux qui sont inquiets à l'idée que des survivants du séisme deviennent des «voleurs de BS» dorment en paix. Les sinistrés qui viendront ici dans le cadre du programme extraordinaire de réunification familiale ne vivront pas aux crochets de l'État - ils n'auront pas droit à l'aide sociale. Les familles qui les parrainent devront prouver que leur situation financière leur permet de les nourrir et de les héberger. Si ce n'est pas possible, elles devront demander à des tiers de se porter garants avec elles.

Bref, personne n'abusera de la générosité de l'État. C'est avant tout la grande solidarité de la communauté haïtienne qui fera vivre et réconfortera les exilés du séisme. Et on pourra quand même clamer que l'État a été généreux. Compte tenu de la contribution exceptionnelle de la diaspora haïtienne à la société québécoise, c'est une aubaine.

rima.elkouri@lapresse.ca