À la veille de son retour au travail après un congé de maternité, Annie Sauvageau a annoncé à son patron qu'elle était de nouveau enceinte. En guise de félicitations, elle a reçu quelques jours plus tard une lettre enregistrée l'informant de son congédiement.

Mme Sauvageau, bachelière en gestion et responsable de la mise en marché des collections à Ango-Mode, était abasourdie. Son poste était soudainement aboli. La lettre invoquait la «situation difficile» et la «récession». On lui disait de ne pas hésiter si elle avait besoin d'une lettre de référence. On lui disait merci pour les années passées au service de l'entreprise. Et on lui souhaitait bonne chance.

Ainsi, du jour au lendemain, enceinte de son deuxième enfant, cette femme de 33 ans s'est retrouvée sans revenu. Au début, elle a cru qu'elle aurait au moins droit à l'assurance emploi. Mais elle a réalisé à son grand dam que le gouvernement fédéral ne considère pas les prestations du Régime québécois d'assurance parentale comme un revenu assurable. Une situation tout aussi absurde qu'injuste pour toutes les femmes qui perdent leur emploi à la suite d'un congé parental. «C'est un non-sens! J'ai travaillé toute ma vie. J'en ai payé, de l'assurance chômage! Et voilà que, au moment où j'en aurais le plus besoin, je n'ai le droit à rien!»

Annie Sauvageau, qui était une excellente employée, est convaincue qu'on l'a mise à la porte parce qu'elle était enceinte. Elle dit qu'on lui a clairement reproché d'avoir une deuxième grossesse «aussi rapprochée» - ce que nie son patron. Officiellement, son poste a été aboli. Dans les faits, c'est l'ex-assistant de Mme Sauvageau qui occupe désormais son poste.

Mme Sauvageau a porté plainte à la Commission des droits de la personne et à la Commission des normes du travail. Elle a appelé son député fédéral, qui ne lui a jamais répondu. Elle a appelé son député provincial, qui lui a suggéré de faire une demande d'aide sociale, pour finalement lui dire ce qu'elle savait déjà: elle n'avait pas droit à l'aide sociale.

Elle a envoyé des dizaines de demandes d'emploi. En vain. Résultat: elle est toujours sans revenu depuis le 31 octobre 2009. Par chance, elle a un conjoint qui travaille sur qui elle peut compter. Car elle sera sans doute en train de bercer son nouveau-né quand elle obtiendra le verdict de la Commission des normes du travail, au printemps.

Un congédiement injuste? Non, plaide le président d'Ango-Mode, Guy Octeau. Il dit avoir agi «dans les règles de l'art». La crise économique l'a forcé à restructurer la petite entreprise qu'il a lui-même fondée, plaide-t-il.

Le patron avait-il quelque chose à reprocher à son employée? Non, rien. «Elle a travaillé pour nous pendant deux ans et elle a fait un excellent travail», confirme-t-il.

Le congédiement de Mme Sauvageau a-t-il quelque chose à voir avec le fait qu'elle ait annoncé qu'elle était enceinte? «Pas du tout. J'aurais été le premier à souhaiter qu'elle ait une deuxième grossesse dans la paix totale. Mais c'est la situation qui veut ça, rien d'autre.» Le poste de Mme Sauvageau avait été «comblé», dit-il, bien avant qu'elle n'annonce quoi que ce soit. Comblé? «Aboli», a-t-il rectifié.

Comme il souhaite que son employée vive sa grossesse en paix, sait-il qu'elle se retrouve désormais sans aucun filet social? Non. «Je veux bien être un bon patron, mais je n'ai pas à tenir compte des conséquences ou des lois, dit-il. Je suis les lois à l'intérieur de ce qu'on fait. Après ça, je n'ai pas à prévoir que, si je fais un geste, c'est cela qui va arriver à tel employé.»

Le cas de Mme Sauvageau est loin d'être isolé, malheureusement (voir l'article de ma collègue Catherine Handfield). Bon an, mal an, la Commission des normes du travail reçoit plus de 300 plaintes chaque année pour congédiement abusif en raison d'une grossesse, et près de 250 plaintes pour congédiement au retour d'un congé de maternité ou d'un congé parental. À l'organisme Au bas de l'échelle, qui défend les travailleurs non syndiqués depuis 1975, on note que ces cas sont en hausse. Ce sont bien sûr les femmes qui écopent dans la grande majorité des cas.

La crise économique n'arrange pas les choses, puisqu'elle fait en sorte qu'il est encore plus difficile pour les employés de démontrer qu'ils ont été victimes d'un congédiement non justifié. «Les motifs économiques ont bon dos ces temps-ci pour se débarrasser d'employés», souligne Carole Henry, porte-parole d'Au bas de l'échelle. Si vous ne savez pas comment mettre à la porte une employée enceinte, invoquez la crise...

Pour les travailleuses de retour d'un congé de maternité, la discrimination prend souvent des formes plus pernicieuses que le congédiement. Au lieu de les mettre à la porte, on les pousse vers la porte. On les relègue à des tâches moins valorisantes ou on les oblige à choisir entre leur bébé et leur CV. Elles auront beau être gestionnaires ou avocates d'expérience, elles seront traitées comme des stagiaires. «Félicitations pour votre enfant. Maintenant, voulez-vous faire des photocopies?»

Aussi odieux soit-il, ce type de discrimination demeure encore socialement acceptable dans certains milieux de travail. Et, signe que les temps changent dans le bon et dans le mauvais sens en même temps, les pères qui prennent des congés de paternité sont aussi de plus en plus victimes de ce genre de pratiques. Comme si on leur disait: «Les bébés, c'est l'affaire des femmes. Si vous tenez à vous en occuper, vous serez traités comme une femme.»

En cette Journée internationale de la femme, il y a là quelques petites choses à méditer pour ceux qui croient que, dans une société aussi progressiste que la nôtre, tout est acquis. Car n'est-il pas incroyable que, en 2010, il faille encore se battre pour un droit aussi fondamental que celui d'avoir un emploi et une famille?