Y aurait-il des enfants haïtiens qui comptent moins que d'autres aux yeux de nos autorités?

C'est malheureusement le message que l'on envoie aux parents d'origine haïtienne vivant ici qui, au lendemain du séisme, tentent sans succès de ramener auprès d'eux leurs enfants parfois condamnés à dormir dans la rue.

Parlez-en à Marjorie Villefranche, de la Maison d'Haïti dans le quartier Saint-Michel, qui reçoit des parents de plus en plus inquiets et amers. «Vous vous imaginez! Les personnes d'origine haïtienne qui viennent nous voir nous disent: il y a deux sortes d'enfants dans ce pays. Il y a les enfants qui sont adoptés et il y a les autres.»

 

Après le séisme, dans le cadre de son «opération Cigogne», le gouvernement canadien, avec la collaboration des provinces, a permis à plus de 200 enfants adoptés haïtiens d'être réunis avec leur famille adoptive. Des démarches qui prennent habituellement deux ans ont pu se terminer en un mois.

Personne ne remet en cause le bien-fondé de ces mesures exceptionnelles qui ont permis à des familles adoptives ayant vécu de grands moments d'angoisse d'être réunies avec leurs enfants rescapés du séisme. Mais pourquoi ne pas traiter de façon tout aussi urgente les cas d'enfants haïtiens dont les parents naturels vivent ici? Pourquoi ce qui est possible pour les uns ne le serait-il pas pour les autres?

Immigration Canada se targue d'avoir adopté des «mesures spéciales» pour faire diminuer le temps d'attente pour les familles d'origine haïtienne qui souhaitent parrainer leurs proches gravement touchés par le séisme. Mais dans les faits, il n'offre rien de plus qu'une réponse administrative sans égard au drame que vivent de nombreuses familles depuis le tremblement de terre du 12 janvier. Leurs enfants sont souvent sans abri. Certains ne mangent pas à leur faim. Leurs filles risquent des agressions sexuelles. Et on leur dit quoi? On leur dit: «Prenez un numéro. Attendez.» On est loin du «traitement prioritaire» pourtant promis.

Comment justifier cette politique de «deux poids, deux mesures» ? J'ai posé la question à Immigration Canada qui, 24 heures plus tard, ne m'avait toujours pas répondu. Du côté du ministère québécois de l'Immigration, on me dit qu'il était plus facile d'accélérer le traitement du dossier des enfants adoptés parce qu'ils avaient déjà obtenu leur certificat de sélection du Québec dans 95% des cas. On a aussi tenu compte de la grande vulnérabilité des enfants.

«Tous les dossiers sont urgents», a admis Marie-Ève Labranche, attachée de presse adjointe au cabinet de la ministre Yolande James. Mais ceux des Haïtiens adoptés ont été jugés plus urgents que les autres parce que ces enfants n'avaient pas de proches pour s'occuper d'eux.

Pour Marjorie Villefranche, il est pourtant clair qu'il se trouve des enfants en attente de parrainage qui sont tout aussi vulnérables que les enfants adoptés. «Les gens sont inquiets. Ils voient leur famille dans la rue. On leur avait dit que l'on accélérerait le processus. Et là, on nous dit: en quoi les enfants sont en danger? Des enfants qui dorment dans la rue! C'est sûr qu'ils sont en danger!»

Mme Villefranche en sait quelque chose, puisqu'elle s'est rendue à Port-au-Prince il y a quelques semaines. Elle a vu entre autres les conditions pitoyables dans lesquelles vivent les enfants de 12 et 13 ans d'Éline François, une mère qui a obtenu son statut de réfugiée au Canada, mais qui n'arrive pas à obtenir un visa pour ses enfants laissés en Haïti, même si elle a déposé une demande de réunification en 2009. «Leur maison est fissurée. Et il y a une autre maison qui est complètement penchée sur la leur. Ils ne dorment pas dans leur maison, ils ont peur qu'elle s'effondre. Ils dorment dans la rue sous une tente. Et je vous jure que les voitures qui passent frôlent la tente!»

Sachant que ces enfants en attente de parrainage vont venir habiter ici de toute façon, pourquoi ne pas leur permettre de le faire le plus rapidement possible? Est-ce trop demander qu'ils soient traités avec le même soin que les enfants adoptés?