S'il voulait nuire à sa propre cause, Dany Villanueva n'aurait guère pu faire mieux. Arrêté hier matin alors qu'il divaguait, selon les policiers, sur le boulevard Céline-Dion à Charlemagne, le jeune homme n'en était malheureusement pas à sa première divagation.

Dany Villanueva a particulièrement mal choisi son moment pour faire des conneries. Témoin-clé dans l'enquête du coroner sur la mort de son frère, il était déjà loin d'être le témoin parfait ou la victime parfaite. Sa crédibilité était déjà entachée. Il a déjà été condamné pour vol qualifié et pour possession d'arme à feu. Il est menacé d'expulsion. Comme si cela ne suffisait pas, le voilà accusé de conduite avec facultés affaiblies, de possession de marijuana et de bris de condition. Rien qui puisse le rendre plus crédible. Rien pour apaiser la souffrance de sa famille en deuil. Tout pour faire jubiler ses nombreux détracteurs et rendre sa cause encore plus impopulaire.

Le plus grave dans tout cela, c'est qu'en divaguant de la sorte, Dany Villanueva fait aussi divaguer l'enquête dont il est le témoin-clé. Ses frasques éclipsent l'essentiel: son petit frère, Fredy, qui aurait eu 20 ans ce mois-ci, est mort abattu par un policier. Il n'avait aucun casier judiciaire. Il n'était pas armé. De toute évidence, sa mort aurait pu être évitée.

Devant le coroner André Perreault, l'agent Jean-Loup Lapointe a justifié son intervention au parc Henri-Bourassa le 9 août 2008 en disant que Fredy Villanueva et ses compagnons jouaient aux dés dans un parc, ce qui enfreint un règlement municipal (RM). Un RM si obscur que, depuis 15 ans, il n'y a eu que deux constats remis pour cette infraction à Montréal, comme l'a déjà souligné mon collègue Yves Boisvert. Voilà qui soulève bien des questions sur le bien-fondé de cette intervention et ramène à la surface la question du profilage racial.

Contrairement à l'idée bien répandue, le profilage racial n'est pas une façon efficace d'imposer la loi et l'ordre. Pour faire respecter la loi lorsqu'un crime est commis, on découvre d'abord le crime et on part ensuite à la recherche d'un suspect. Le profilage, c'est le contraire. On trouve d'abord un suspect et on se met ensuite à la recherche du crime qu'il aurait pu commettre (1).

L'enquête Villanueva n'offre pas nécessairement le cadre idéal pour dénoncer le profilage racial, puisqu'elle ne met pas en scène des victimes au-dessus de tout soupçon. Cela dit, même si la cause est impopulaire, les enjeux - la justice et la paix sociale dans un Montréal de plus en plus métissé - sont loin d'être mineurs.

Par son comportement, Dany Villanueva fait malheureusement ombrage à ces enjeux. Il donne des munitions sur un plateau d'argent à ceux qui savent trop bien que la meilleure façon de défendre l'agent Lapointe est d'attaquer la crédibilité du témoin-clé de l'enquête.

Cela dit, on aurait tort de réduire l'affaire Villanueva à un combat entre un jeune délinquant de minorité et un policier en légitime défense. Les questions soulevées par cette tragédie qui a provoqué l'émeute de Montréal-Nord vont bien au-delà du fait divers. L'enquête du coroner Perreault a déjà permis de soulever un certain nombre de questions troublantes sur la conduite des policiers dans les quartiers défavorisés où sévissent des gangs de rue. Elle a aussi mis en lumière des failles importantes dans l'application de la politique ministérielle, qui dicte la marche à suivre quand des policiers sont appelés à mener une enquête sur leurs pairs. Ces failles remettent en question l'impartialité du système de justice - mise à rude épreuve ces jours-ci pour d'autres raisons.

Il s'en trouvera maintenant pour réclamer l'expulsion immédiate de Dany Villanueva, déjà menacé d'être expulsé - la Commission de l'immigration et du statut de réfugié rendra son verdict mercredi prochain. Ce serait tout confondre. Les démêlés de Dany Villanueva avec la justice sont une chose. L'enquête sur la mort de son frère en est une autre. Renvoyer le témoin-clé dans son pays natal n'effacera pas d'un coup de baguette magique la tragédie du 9 août 2008.

(1) Je reprends ici une définition tirée de l'essai Racial Profiling in Canada, de Carol Tator et Frances Henry (University of Toronto Press, 2006).