J'ai un peu de mal à m'émouvoir pour le sort des naufragés de l'air, dont les plans ont été bousculés par le volcan islandais. Attendre un avion qui ne vient pas est certainement désagréable, surtout si l'on est séparé d'un être cher ou que l'on a épuisé toutes ses économies. De là à crier à la catastrophe humanitaire, il y a un pas.

Ce volcan a beau perturber la vie des voyageurs et coûter des millions de dollars par jour, ce n'est ni un tremblement de terre ni un conflit meurtrier. Même si les images du volcan sont spectaculaires, on reste, sur le plan humain, dans la catégorie des catastrophes quasi bénignes. Que ceux qui sont à bout de nerfs à l'aéroport pensent aux Haïtiens qui ont été pris plusieurs jours sans boire ni manger sous les décombres du séisme. À défaut de régler leurs ennuis, ça devrait remettre les choses en perspective.

 

La catastrophe a beau être bénigne, elle entraîne son lot de petits drames humains et de situations absurdes. J'ai reçu par courriel samedi la photo de deux médecins spécialistes du CHUM sur un trottoir de Londres tenant une pancarte en carton: «Room Needed!»

L'un de ces deux «sans-abri», c'est mon frère, parti à Londres pour participer à un grand congrès de chirurgie vasculaire. Qu'est-ce qui lui arrive? Il est vraiment dans la rue? ai-je demandé à ma belle-soeur. Je l'ai sentie exténuée par sa monoparentalité forcée. Les volcans, elle connaît pourtant déjà un peu. Ils ont trois jeunes enfants à la maison - trois adorables petits volcans ambulants, en éruption continue depuis six ans. (Je connais aussi, j'en ai deux spécimens à la maison.)

Mon frère devait donc rentrer à Montréal vendredi soir. Mais le volcan qui tousse en a décidé autrement. Le premier jour, il trouvait ça drôle. Le deuxième, un peu moins. Ça va durer combien de temps cette histoire? Certains ont dit que cela pourrait durer des mois.

Comment rentrer à Montréal? «Penses-tu que je devrais prendre un bateau ou même un cargo pétrolier?» a -t-il demandé à sa femme. «Un pétrolier! Et pourquoi pas une chaloupe? Si vous ramez fort...» Il n'a pas trouvé cela très drôle.

«Papa va prendre un bateau? Woah! Il est chanceux», a lancé son fils de 6 ans, tout excité.

Ce qui pouvait sembler amusant l'était certainement un peu moins pour les patients dont l'opération a dû être annulée parce que leurs médecins étaient prisonniers d'un volcan. Ne vous inquiétez pas, messieurs, dames, votre chirurgien va se trouver une chaloupe, il s'en vient...

Finalement, à la grande déception de son fils aîné, mon frère n'a pas pris de bateau. Il n'a pas eu non plus à manger des sardines en conserve sur la coque d'un pétrolier. Sans logis à Londres - tous les hôtels affichaient complet -, il a réussi dimanche à dénicher avec ses collègues des billets fort convoités de train Eurostar pour aller à Paris. De là, il a voulu prendre un TGV pour aller à Toulouse, dont l'aéroport était ouvert. C'était sans compter sur la grève des trains en France! Il a voulu louer une voiture. Impossible, il n'en restait nulle part. Finalement, sa douce moitié a réussi, de Montréal, à lui trouver une voiture de location à l'aéroport d'Orly. Et hier, il a enfin pu prendre un vol Toulouse-New York à fort prix. Le vol a eu du retard. Au moment d'écrire ces lignes, on se demandait encore s'il allait avoir le temps de prendre son vol New York-Montréal. Mais bon, finalement, il ne reste de ce «drame» qu'une bonne histoire à raconter aux enfants.

D'autres auront eu beaucoup moins de chance. Au consulat français à Montréal, c'était le chaos hier. On estime qu'entre 2000 et 3000 Français naufragés de l'air sont coincés à Montréal. Il y avait des crépitements sur la ligne quand j'ai appelé au consulat. «Oui, allô, ne quittez pas!» Les employés étaient débordés.

Dimanche soir, 200 Français attendaient en râlant devant le comptoir d'Air France de l'aéroport Pierre-Elliott-Trudeau. «Ils ne veulent pas quitter l'aéroport! Ils ont peur de manquer un avion», disait Yann Yochum, l'attaché de presse du consulat français, qui a décidé de poster un employé en permanence à l'aéroport pour calmer les gens. Cinq avions devaient enfin décoller hier soir. On a accordé la priorité aux gens qui attendaient depuis quatre jours.

Les voyageurs qui devaient encore patienter et qui en ont les moyens ont pu aller à l'hôtel, en attendant le prochain départ. Pour les autres, le consulat a lancé un appel à la solidarité. Une vingtaine de familles de ressortissants français vivant au Québec se sont déjà portées volontaires pour héberger au besoin des compatriotes. En attendant que le nuage de cendres leur permette enfin de retrouver leur lit.