Une majorité de Québécois francophones (61%) serait d'accord pour que l'accès à l'école anglaise soit élargi, selon un sondage publié lundi dans The Gazette. Est-ce à dire que 61% des francophones ont la mémoire courte? Ou que l'on peut vraiment faire dire tout et son contraire aux sondages?

Alors que l'on ne cesse de se plaindre du recul du français à Montréal, il m'apparaît étonnant qu'une majorité de Québécois, toutes langues confondues, se dise en faveur d'un libre choix qui irait à l'encontre de la loi 101 et de ses objectifs. Cette réponse peut être l'expression d'une préoccupation légitime devant la piètre qualité de l'enseignement de l'anglais dans nos écoles. Les gens veulent que leurs enfants soient bilingues, ce que l'école française, qui peine déjà à leur enseigner la langue de Ducharme, ne permet pas en ce moment. Ils aimeraient que leurs enfants maîtrisent tout aussi bien le français que l'anglais et ils ont raison. Mais ils oublient un petit détail: le retour au libre choix, s'il peut sembler anodin à court terme, mettrait en péril la survie de la langue française au Québec. Exiger un meilleur enseignement du français et de l'anglais, c'est une chose. Exiger le libre choix de la langue d'enseignement en est une autre.

 

Les débats sur l'avenir du français au Québec font souvent injustement porter le fardeau de la survie de la langue aux immigrés et à leurs enfants. S'il est légitime de veiller à ce que les étrangers qui adoptent le Québec adoptent aussi le français, il est bon de rappeler que la loi 101 n'a pas été créée que pour eux. Camille Laurin voulait bien sûr obliger les enfants d'immigrés à fréquenter l'école française. Mais, ce faisant, il a aussi voulu empêcher les 10% de francophones qui fréquentaient l'école anglaise de le faire. Un effet collatéral qui n'est pas anodin, car ces 10% d'élèves provenant de la majorité francophone étaient bien plus nombreux que tous les élèves allophones réunis.

Près de 35 ans plus tard, les Québécois qui se disent en faveur du libre choix auraient-ils oublié la raison d'être de la Charte de la langue française? Ne sont-ils pas conscients de la menace bien réelle d'assimilation à laquelle on ferait face sans ce précieux rempart commun qu'est l'école française? Tirer de telles conclusions reviendrait sans doute à accorder un peu trop d'importance aux données d'un seul sondage. Car lorsque la question est posée autrement, elle entraîne une réponse bien différente. Selon un récent sondage Ipsos-Bloc québécois, 90% des Québécois sont d'accord pour dire que le gouvernement canadien devrait respecter les dispositions de la loi 101 faisant du français la seule langue officielle au Québec. Si les deux sondages disent vrai, une majorité de Québécois serait donc à la fois pour le respect de la loi 101 et pour le libre choix. Bref, pour la loi 101 et contre la loi 101 en même temps... Cherchez l'erreur.

«On ne dit pas d'éliminer la loi 101; on dit que, après 35 ans d'existence, on pourrait l'ajuster», a dit mardi Marcus Tabachnick, président de la commission scolaire anglophone Lester B. Pearson, au cours d'une conférence de presse réunissant des leaders anglophones du milieu de l'éducation qui se sentent lésés par le gouvernement Charest et voient leurs écoles se vider.

On sait que, en vertu de la Charte de la langue française, seuls les enfants dont l'un des parents a fréquenté l'école anglaise au Canada peuvent aller à l'école anglaise. Ajuster la loi, selon certains, veut dire respecter la décision de la Cour suprême sur les fameuses écoles-passerelles qui permettent de contourner la loi 101 et de créer injustement deux classes de citoyens: ceux qui peuvent s'acheter des droits linguistiques et ceux qui ne le peuvent pas.

Pour d'autres, cela veut dire élargir les critères d'admissibilité à l'école anglaise, en étendant par exemple ce droit aux enfants dont l'un des parents est originaire d'un pays anglophone, comme l'avait recommandé le rapport Chambers en 1992. Une proposition que le père de la loi 101 avait lui-même qualifiée d'absurde et d'idiote et qui avait été rejetée par le gouvernement Bourassa.

Dans les deux cas, que ce soit par des passerelles ou de nouveaux passe-droits, on ferait fausse route. Si le français, grâce à la loi 101, se porte relativement bien au Québec, sa situation demeure toujours précaire. Affaiblir l'instrument même qui lui permet de rester en vie dans une mer anglophone serait pour le moins malavisé. Il y a parfois des fenêtres qu'il vaut mieux ne pas ouvrir.