Le Québec choisit-il mal ses immigrants? À lire le rapport du vérificateur général, on pourrait en conclure que si le taux de chômage des nouveaux arrivants est si élevé, cela tient essentiellement à un problème d'arrimage entre la sélection des travailleurs étrangers et les besoins du marché du travail.

Seulement 9% des immigrants accueillis entre 2006 et 2008 ont un profil qui répond aux exigences du marché du travail, note le vérificateur général. Les autres pourtant officiellement accueillis dans la catégorie des travailleurs «qualifiés» finissent trop souvent par se qualifier pour un rêve brisé: le chômage, le déclassement professionnel et la désillusion.

On pourrait en déduire que si une proportion importante de nouveaux arrivants s'adaptent mal au marché du travail, ce n'est pas parce qu'on les intègre mal, mais parce qu'au départ, on les a mal choisis. Ce serait oublier que cette conclusion, sans être tout à fait fausse, ne révèle qu'une partie de l'équation.

Le travail du ministère de l'Immigration comporte trois volets: la sélection, la francisation et l'intégration. Le vérificateur général n'a choisi d'évaluer que le premier de ces trois volets, sans quoi la bouchée aurait été trop grosse, me dit-on. Mais il va sans dire que, si l'on veut obtenir un diagnostic complet et trouver les remèdes appropriés, il faut absolument tenir compte aussi des deux autres aspects - le Vérificateur n'exclut d'ailleurs pas la possibilité d'y revenir, ce qui serait une excellente idée.

Depuis 2006, le Québec a une grille de sélection qui vise un meilleur arrimage entre le marché de l'emploi et le profil des candidats à l'immigration. Ainsi, selon la nouvelle grille, un boucher obtient plus de points bonis qu'un médecin au critère «domaine de formation», pour la simple et bonne raison qu'il a plus de chances de décrocher un emploi qui corresponde à son profil. Toutefois, comme l'a bien démontré le Vérificateur général, l'efficacité de la grille du Ministère, que même ses fonctionnaires ont du mal à interpréter, est pour le moins limitée.

Dans certains pays, comme en Australie, la candidature d'un travailleur qualifié n'est examinée que si sa profession figure sur la liste des professions en demande, rappelle le Vérificateur. Cette mesure a permis d'améliorer l'intégration économique des immigrants dans ce pays. Est-ce un modèle dont le Québec devrait s'inspirer? Ce n'est pas aussi simple que cela, note Marie-Thérèse Chicha, professeure à l'École des relations industrielles de l'Université de Montréal. «C'est une très bonne pratique. Mais je ne crois pas que l'on puisse s'appuyer uniquement là-dessus pour faire la sélection. On aurait beaucoup moins de demandeurs.» L'Australie, contrairement au Québec, a accès à un vaste bassin de travailleurs anglophones qualifiés, provenant notamment de l'Asie. Les candidats francophones sont beaucoup moins nombreux.

Faudrait-il donc, pour être réaliste, diminuer les volumes d'immigration? Ce serait une solution simpliste et à courte vue, croit Brahim Boudarbat, professeur d'économie à l'Université de Montréal et coauteur d'une étude récente du CIRANO sur l'intégration des immigrants au marché du travail. «À long terme, il n'y a que des bénéfices à l'immigration», dit le chercheur qui énumère quatre bonnes raisons de ne pas y mettre un frein. Première raison: si le Québec accueille moins d'immigrants, son poids sera moindre au sein du Canada, ce qui entraîne des conséquences politiques importantes. Deuxième raison: compte tenu de l'importance des réseaux d'entraide, plus il y a d'immigrants dans une société, meilleures sont les possibilités d'intégration. Troisième raison: si les cinq premières années de l'expérience migratoire sont souvent difficiles, on observe qu'avec le temps, la situation s'améliore. Quatrième raison: les enfants d'immigrants, ceux qui arrivent très jeunes ou qui sont nés ici, s'intègrent en général très bien et réussissent parfois mieux que la moyenne. À long terme, ils participent donc très bien à la croissance économique du Québec.

Ce qui ne veut bien sûr pas dire que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Le ministère de l'Immigration dit vouloir privilégier la «voie de l'équilibre» entre un modèle de sélection pointu qui ne recrute que des spécialistes en demande sur le marché du travail et un modèle plus ouvert en quête de généralistes ayant de bonnes capacités d'adaptation. Pour l'heure, si l'on se fie au rapport accablant du vérificateur général, le Ministère semble avoir choisi non pas la voie de l'équilibre, mais la voie du n'importe comment. Plus de rigueur et de cohérence sont donc de mise.

Comment améliorer la sélection? Pour le professeur Boudarbat, Québec aurait tout intérêt à miser sur la candidature des immigrants qui ont les meilleures capacités d'adaptation, notamment les étudiants étrangers et les jeunes. «Les études montrent que les gens qui arrivent après 30 ans ont plus de problèmes d'adaptation.» En ce moment, Québec favorise les candidatures des 18-35 ans, mais pour le chercheur, favoriser les gens de moins de 25 ans serait encore mieux.

Cela dit, on aura beau choisir les candidats les plus jeunes, les plus qualifiés et les plus déterminés à se réinventer, cela ne suffit pas. Les employeurs ont aussi un rôle à jouer dans leur intégration. Le problème de reconnaissance des compétences reste entier. «Même les immigrants qui satisfont à la grille de sélection ont du mal à trouver du travail», observe Marie-Thérèse Chicha. Elle me cite l'exemple d'un informaticien du Sénégal, très qualifié, très compétent, qui a frappé à toutes les portes, en vain. «Il n'a pu trouver aucun emploi. Finalement, il a eu une offre de la Banque mondiale comme informaticien, aux conditions qu'il voulait. Il est parti. La Banque mondiale n'embauche pas n'importe qui. Comment se fait-il qu'aucun employeur du Québec n'a voulu de lui?»

Des responsables de ressources humaines qui ont l'ordre de leur employeur de n'embaucher aucun immigré, cela existe malheureusement, note Marie-Thérèse Chicha. Même si on trouve des employeurs très ouverts, la majorité reste frileuse par rapport aux immigrants, a-t-elle constaté au cours de ses recherches. «Ils ont parfois peur qu'ils réclament des accommodements ou que les collègues n'en veulent pas.»

Dans ce contexte, au-delà des bonnes intentions et des campagnes de sensibilisation, il faudrait peut-être songer à des mesures plus musclées, comme des programmes d'accès à l'égalité ou un éventail plus large de stages subventionnés. Cela permettrait à des immigrants que l'on croit mal choisis mais qui ne le sont pas d'obtenir cette première expérience de travail que tous les employeurs leur réclament sans vouloir la leur offrir.