Comment faire cohabiter sur la même piste des cyclistes de compétition, des touristes en Bixi, des enfants qui vont à la plage, des patineurs, des automobilistes et quelques écureuils distraits?

La question soulève encore une fois la controverse dans le circuit Gilles-Villeneuve. Et elle n'est pas simple à trancher. Car qui dit cohabitation dit forcément frictions et, dans le meilleur des cas, compromis.

 

Le compromis trouvé dans ce cas par la Société du parc Jean-Drapeau suscite avec raison la grogne de plusieurs cyclistes de performance qui considèrent ce circuit comme l'endroit le plus sûr à Montréal pour s'entraîner. Ce n'est pas l'avis des gestionnaires du parc, qui martèlent que le circuit n'a jamais été une piste d'entraînement mais avant tout une rue qui doit être accessible à tous.

Invoquant des raisons de sécurité, la Société, appuyée par la Ville, dit qu'elle n'a pas le choix d'installer des chicanes pour forcer les cyclistes à ralentir. Si certains veulent s'entraîner sans pôle de ralentissement ni limite de vitesse, ils pourront le faire très tôt le matin, de 5h à 7h, ou encore autour du Bassin olympique de 12h30 à 15h - un parcours que les sportifs considèrent eux-mêmes comme trop dangereux. Autant leur dire d'aller rouler ailleurs. Et comme l'ancien vélodrome est maintenant peuplé de lynx et de manchots, disons que l'ailleurs, pour ce genre de cyclistes, demeure plutôt limité à Montréal.

On parle donc de sécurité en invoquant les 21 accidents de l'an dernier sur le circuit Gilles-Villeneuve. On parle donc de sécurité et on ne peut pas être contre la sécurité. Sauf que, ici, il me semble que l'argument de la sécurité, aussi important soit-il, éclipse une question cruciale que l'on évoque à peine. Une question qui fait pourtant partie des solutions de cohabitation: la réduction de la circulation automobile dans l'île Notre-Dame.

Plutôt que de chasser les cyclistes de performance, pourquoi ne pas restreindre l'utilisation de la voiture dans le circuit Gilles-Villeneuve? Le parc Jean-Drapeau n'est-il pas avant tout un parc? Pourquoi ne pourrait-on pas y maintenir la circulation à un strict minimum?

Les automobilistes ont toute l'île de Montréal pour rouler en paix. Les cyclistes urbains qui s'entraînent n'ont que le circuit Gilles-Villeneuve. Ne pourrait-on pas leur réserver une voie qui leur permettrait de rouler sans faire peur aux touristes et aux familles? Plutôt que d'interdire la circulation automobile uniquement de 5h à 7h, ne pourrait-on pas allonger un peu la période sans voiture? La Société du parc Jean-Drapeau dit que c'est impossible. Il y a des livraisons à faire dans l'île Notre-Dame. Il y a des gens qui doivent se rendre au travail. Ce à quoi Luc Ferrandez, le franc-tireur de Projet Montréal, répond: «On n'a pas mandaté ces gens-là pour qu'ils s'occupent d'abord de leur besoin de se rendre à leur bureau en auto!» En effet.

On ne peut bien sûr fermer le circuit Gilles-Villeneuve aux automobiles du jour au lendemain sans solution de rechange. Il faudra songer à aménager un stationnement incitatif, repenser l'accès à la plage, etc. Mais on ne part pas de zéro. L'île Notre-Dame n'est pas accessible qu'en chaloupe. On y trouve aussi une station de métro qui a coûté une fortune. Il suffirait de l'utiliser. «Si ce n'est pas pratique pour tout le monde en tout temps, qu'on organise des navettes. Ce sera certainement moins désagréable d'utiliser une navette que d'aller s'entraîner autour du bassin à 5h du matin avec un casque de mineur!» observe Luc Ferrandez.

Le plus absurde, dans cette histoire, c'est que la Société du parc Jean-Drapeau dit officiellement vouloir réduire la circulation automobile dans l'île Notre-Dame. «Cela fait partie de nos plans à long terme», m'a dit hier Nathalie Lessard, porte-parole de la Société. Pourquoi pas maintenant? «On ne peut pas parce que les gens viennent en voiture!»

Je ne suis pas experte dans le domaine, mais mon petit doigt me dit que les gens continueront de se rendre en voiture dans l'île tant qu'on le leur permettra. Une simple hypothèse qu'il vaudrait peut-être la peine d'explorer.