Pourquoi, à Montréal, les jeunes Noirs sont-ils plus susceptibles d'être interpellés par la police que les jeunes Blancs? Pourquoi sont-ils aussi surreprésentés dans le système de justice que le sont les jeunes Noirs aux États-Unis?

Une épaisse couche de déni recouvre en général ces questions taboues. Une couche que le sociologue Christopher McAll, invité à prendre la parole hier aux audiences de la Commission des droits de la personne sur le profilage racial, n'a pas hésité à gratter. Et sous le déni, en scrutant les faits à la loupe, qu'a-t-il trouvé? De la peur. Une peur qui se nourrit elle-même de façon insidieuse et irraisonnée. Une peur qui, sans égard à la réalité, finit par créer sa propre logique vicieuse et par justifier l'exclusion de toute une population que l'on décrira faussement comme prédisposée au crime.

Sans détour, chiffres troublants à l'appui, le chercheur de l'Université de Montréal, qui pendant six mois a passé au peigne fin les dossiers de 2001 archivés dans des boîtes de carton de la Chambre de la jeunesse, n'a pas hésité à mettre son scalpel dans la plaie. Ses conclusions démontent le discours dominant sur la sécurité publique et les croyances populaires sur lesquelles s'appuie ce discours.

Selon l'étude du professeur McAll et de Léonel Bernard(1), les jeunes Noirs montréalais sont, de façon générale, 2,24 fois plus susceptibles d'être arrêtés que les jeunes Blancs. Ils sont cinq fois plus susceptibles de se faire arrêter pour vol à l'étalage et risquent sept fois plus d'être arrêtés pour possession et trafic de stupéfiants.

L'étude ne dit pas que les jeunes qui ont été arrêtés n'ont rien fait de mal, mais elle met en lumière le traitement différentiel des uns et des autres. Car si on met de côté les cas où les jeunes ont été arrêtés à la suite d'observations des policiers ou d'un agent de sécurité sur la place publique, les données dévoilent une tout autre réalité. «Il y a un certain artifice, note M.McAll. On a l'impression que les jeunes Noirs sont le plus souvent impliqués. Mais nos résultats suggèrent que c'est parce qu'ils sont davantage surveillés par les policiers.»

Pour le sociologue, cette distorsion dans les pratiques prend racine dans la peur et dans l'attention démesurée que l'on porte aux gangs de rue dans les débats publics. Dans les données de 2001, les interventions liées aux gangs de rue étaient plutôt rares. En 2009, les gangs de rue n'étaient responsables que de 1,6% des crimes commis à Montréal. Pourtant, le Service de police de la Ville de Montréal place la lutte contre les gangs de rue en tête de la liste de ses priorités.

Pourquoi donc accorder la priorité à un phénomène marginal qui ne concerne qu'un nombre minime de crimes? Mon collègue Hugo Meunier a déjà posé la question au SPVM. Réponse absurde de la police: parce que le public a peur. Comme, dans l'esprit des gens, alarmés par les médias, le problème des gangs de rue a une importance démesurée, la police lui accorde à son tour une importance démesurée. Même si le sentiment d'insécurité de la population est lié avant tout à une lecture erronée de la situation - les statistiques montrent que Montréal est une des villes plus sûres en Amérique du Nord -, la police agit donc comme si la perception était la réalité. Mais depuis quand les priorités de la police devraient-elles être guidées par le poids médiatique d'un problème et les peurs non fondées?

Ainsi tourne une roue qui nous mène droit vers le précipice des banlieues françaises, a dit hier le professeur McAll: «En consacrant beaucoup de ressources aux gangs de rue et aux jeunes Noirs qui y sont associés, cela crée un phénomène de sur-surveillance des jeunes Noirs, qui crée à son tour un phénomène de surreprésentation, qui alimente encore les peurs.»

J'ai tenté hier d'obtenir les commentaires du SPVM sur cette étude, qu'il a en main depuis le mois de mars. En vain. Il sera intéressant de voir ce que le service de police aura à proposer au cours de ces audiences publiques pour éviter le précipice.

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(1) On peut en prendre connaissance sur le site www.cremis.ca