Cachez vos enfants, ne sortez plus dans la ruelle, verrouillez vos portes. Il paraît qu'il y a des toxicomanes du Grand Nord qui vont débarquer au coin de votre rue, menacer votre quiétude et faire baisser le prix de vos maisons.

Si on se fie au tract qui circule dans le quartier Villeray ces jours-ci, le danger est «imminent». Le projet de conversion de l'ancien hôpital chinois en centre d'hébergement pour Inuits serait, selon le tract, une menace à la sécurité des enfants du quartier. Et il pourrait aussi faire baisser le prix des propriétés.

Pour avoir «un aperçu de l'ampleur de la catastrophe à venir», allez voir un peu ce qui se passe à l'angle du boulevard Saint-Laurent et de l'avenue Viger, conseille l'auteur anonyme du tract. Prenant mon courage à deux mains, je suis allée voir pour vous. J'y ai vu de mes yeux vu deux piétons traverser la rue au feu jaune. Et quelques touristes perdus devant ces lions à l'air bougon qui font le guet devant les arches du Quartier chinois. Vous avez dit «catastrophe»? Le mot est faible.

La controverse autour de la conversion de l'ancien hôpital chinois de la rue Saint-Denis en centre d'hébergement pour Inuits est née d'un énorme malentendu, amplifié par les ragots et les préjugés. Je ne dis pas que les questionnements des citoyens ne sont pas légitimes si un centre de désintoxication ou un refuge s'installe dans leur quartier. Mais avant de monter au créneau, il faudrait au moins savoir de quoi on parle.

Dans le cas qui nous concerne, contrairement à ce que dit la légende urbaine, on ne parle pas d'un centre de désintoxication ni d'un refuge pour sans-abri. On parle d'un centre d'hébergement pour 150 citoyens du Nunavik ayant besoin de soins médicaux de pointe. Des soins auxquels ils ont droit mais qu'ils ne peuvent recevoir dans ce tiers-monde qui est le leur et que l'on préférerait ne pas voir. Il y aura donc des cancéreux, des femmes qui ont une grossesse à risque, des enfants qui ont besoin d'opérations spécialisées... Des patients pour la plupart très discrets qui monteront dans un autobus le matin pour aller à l'hôpital. Ils rentreront le soir. Ils passeront en moyenne de cinq à dix jours à Montréal, avant de reprendre l'avion pour le Nunavik.

Où est donc le danger? Un nouveau gang de rue sera-t-il créé dans la ruelle après le traitement de chimio ou en sortant du bloc opératoire? Dans l'imagination de certains, tout est possible. Le péril inuit est à nos portes. Voyez ce que dit le tract: «Le danger est imminent. Votre quiétude, vos familles et vos enfants sont en péril.»

Hier, la mairesse de l'arrondissement de Villeray-Saint-Michel-Parc-Extension, Anie Samson, a dit déplorer le fait qu'un tract «aussi discriminatoire» circule. J'avais l'impression en l'écoutant d'entendre une pyromane heureuse d'éteindre le feu qu'elle avait elle-même allumé. Dans un reportage diffusé à Radio-Canada il y a quelque temps, la mairesse a dit: «Quand t'amènes 125 personnes qui sont dépaysées, c'est le nouveau, c'est la grande ville, c'est le party. C'est sûr qu'il va y avoir des choses qui vont se passer. Me dire qu'il n'y aura aucune incivilité, c'est nous mentir.»

Quand on amène une mairesse qui se permet de dire n'importe quoi, c'est sûr aussi qu'il va y avoir des choses qui vont se passer... Mme Samson, qui a depuis changé de discours à propos de ce projet, a avoué qu'elle avait commenté une affaire qu'elle ne connaissait même pas. «À l'époque, il n'y avait aucune communication avec l'agence de la santé et des services sociaux.» Elle se fiait, a-t-elle dit, au «bouche à oreille». Une mairesse qui se fie au bouche à oreille, voilà qui est très rassurant.

Cela dit, même si la mairesse a induit ses citoyens en erreur en commentant un projet qu'elle ne connaissait pas, elle n'est pas la seule à blâmer dans cette histoire. L'agence de la santé et des services sociaux aurait pu elle aussi éviter une controverse en informant correctement les citoyens et l'arrondissement concernés dès le départ.

Que répond l'Agence au tract qui circule? Rien du tout, voilà le problème. «On ne fait pas dans l'opinion. On regarde les faits», s'est contentée de me dire Guylaine Chabot, porte-parole de l'Agence.

Ce silence est forcément suspect pour les citoyens ameutés par le projet. En refusant de répondre aux questions, on laisse ici le champ libre à la rumeur et aux préjugés les plus tenaces. Aux dépens d'une population déjà malmenée qui n'avait vraiment pas besoin de ça.