Si l'on se fie aux discours catastrophistes sur le décrochage, on pourrait en venir à croire qu'il n'y a pas pire malédiction que d'être né garçon au Québec. Or, il en va des données sur la réussite scolaire comme de n'importe quelle autre statistique portant sur un sujet controversé. Tout est question de perspective. Là où certains voient des catastrophes, d'autres lisent de bonnes nouvelles.

Tenez par exemple la dernière étude de Statistique Canada sur la question. On y révélait que 20% des jeunes Canadiens de 15 à 19 ans ne fréquentent plus l'école, alors que la proportion est de 15% dans les autres pays de l'OCDE. Alors que le taux de décrochage diminue ailleurs, ici, il continue de stagner. Et lorsque l'on compare le taux de décochage québécois à celui de nos voisins ontariens, le portrait n'est pas plus réjouissant. Le Québec affiche un taux de décrochage de 22,5% comparativement à 15,9% en Ontario. Et on souligne encore et toujours que la majorité des jeunes en difficulté sont des garçons.

Ce portrait plutôt déprimant à première vue change lorsque l'on tient compte des statistiques de «raccrochage», qui distinguent le Québec du ROC. Comme le souligne ma collègue Louise Leduc, s'il est vrai que les garçons restent moins nombreux que les filles à décrocher un diplôme, ils sont 8% de plus que la moyenne canadienne à y parvenir. Ils y arrivent souvent tardivement, mais ils y arrivent. Ils réussissent même à doubler les Ontariens au fil d'arrivée.

Que vaut vraiment leur diplôme d'études secondaires? Ça, c'est une autre histoire. Il n'en demeure pas moins qu'au bout de leur longue course à obstacles, la grande majorité de ces garçons devenus des hommes (81%) finissent par obtenir un diplôme.

Cela nous laisse donc avec 19% de gars sans diplôme. Presque un sur cinq. C'est beaucoup trop, bien sûr. Mais si on compare avec les données d'il y a 30 ans, on note tout de même des progrès, même si le mythe du cancre de plus en plus cancre demeure bien ancré dans les esprits. Quelle est la proportion de jeunes de 19 ans qui n'avaient pas diplôme d'études secondaires en 1979? Quarante et un pour cent. Vues sous cet angle, les choses se sont tout de même améliorées.

Améliorations ou pas, le discours d'autoflagellation sur l'écart marqué entre les garçons et les filles à l'école donne l'impression que tout est pire qu'avant. Or, quel était l'écart entre garçons et filles dans les années 50? Réponse: à peu près le même qu'aujourd'hui. Contrairement à la croyance populaire, le phénomène n'a rien de nouveau. Dès 1955, la proportion de filles qui réussissaient leurs examens de 12e année était beaucoup plus élevée que celle de garçons (94% contre 79%).

De là à dire que tout est bien dans le meilleur des mondes pour les garçons à l'école, il y a un pas. Si les difficultés scolaires de certains garçons ne constituent ni un phénomène nouveau ni une exclusivité québécoise, on ne peut se permettre d'ignorer le problème ou de le minimiser. Il faut établir les facteurs qui peuvent rendre plus ardu le parcours scolaire des garçons et trouver des solutions. C'est ce qu'a fait Égide Royer, dont je viens de lire l'intéressant plaidoyer en faveur de la réussite des garçons à l'école (Leçons d'éléphants).

Psychologue et spécialiste en adaptation scolaire, ce professeur de l'Université Laval, qui a travaillé au ministère de l'Éducation dans une autre vie, pose un regard lucide et éclairé sur la situation des garçons en difficulté scolaire. Il propose 15 mesures pour «décideurs et éducateurs avertis» préoccupés par la réussite scolaire des garçons. Des mesures qui, pour la plupart, tombent sous le sens.

Le psychologue met notamment l'accent sur la prévention et l'intervention précoce, le dépistage systématique dès le préscolaire et la mise en place d'objectifs précis en lecture pour les garçons. Parallèlement, il suggère de dresser une liste équivalente pour les filles en difficulté (même si elles réussissent mieux en général, le décrochage les concerne aussi - 25% d'entre elles ne possèdent pas de diplôme à 20 ans).

Parmi les autres propositions du psychologue qui ont déjà retenu l'attention, il y a cette idée de rendre l'école obligatoire jusqu'à 18 ans ou jusqu'à l'obtention d'un diplôme d'études secondaires. Cette obligation ne suffira pas à elle seule pour enrayer le décrochage, on en convient. Mais elle pourrait permettre de récupérer avant qu'ils ne décrochent 2 ou 3% des élèves, estime le spécialiste.

Si c'est le cas, la mesure mérite d'être étudiée, d'autant plus que ce qu'on appelle «l'éducation aux adultes» semble avoir subi un détournement de mission. Près de la moitié de tous les «adultes» qui fréquentent l'éducation aux adultes ont de 16 à 19 ans. «C'est presque devenu un secteur pour les jeunes en difficulté de 16 à 19 ans. Or, l'éducation des adultes a peu de ressources pour les jeunes en difficulté», indique M. Royer. Peu de ressources et moins d'exigences aussi.

Sur le plan symbolique, rendre l'école obligatoire jusqu'à 18 ans aurait aussi le mérite d'envoyer un message clair sur l'importance que devrait avoir l'éducation dans notre société. S'il faut avoir 18 ans pour acheter un billet de loterie ou de la bière, selon quelle logique pourrait-on avoir le droit de quitter l'école à 16 ans? «C'est une décision beaucoup plus importante que d'acheter un gratteux!» souligne M. Royer. À méditer.