La semaine dite «sans voitures» vient de se terminer à Montréal. J'ai profité de l'événement pour ratisser la ville en Bixi et enfin pouvoir vous révéler ce grand scoop: il n'y avait pas moins de voitures en ville durant la semaine «sans voitures».

En roulant vers le centre-ville qui gémit sous les chantiers, j'ai tout de même pensé à ce temps pas si lointain où je partais en vélo de mon appartement de la rue Saint-Urbain pour me rendre à l'université. Il n'y avait à l'époque aucune piste cyclable digne de ce nom au centre-ville. Le Bixi n'existait pas. Et le Montréalais à vélo était le plus souvent perçu comme une sorte d'anomalie grano à deux roues pédalant vers sa propre mort.

Depuis, il s'est passé quelque chose. Quelque chose qui ressemble à une petite révolution urbaine. Car si les lobbys cyclistes ont encore bien des doléances à l'égard de cette ville qui demeure conçue pour l'auto, personne ne peut nier que le vent a tourné pour les cyclistes urbains devenus de plus en plus nombreux.

Montréal est depuis longtemps déjà une ville vélophile. Elle s'est souvent vantée d'avoir reçu, en 1999, le titre de première ville cyclable en Amérique décerné par le magazine Bicycling. Mais ce titre ne récompensait pas tant la qualité de ses infrastructures que sa passion du vélo qui se manifeste par des événements comme le Tour de l'île.

En réalité, si on parle des infrastructures, rien n'a bougé pendant des décennies à Montréal.

C'est sous Jean Drapeau, qui n'était pourtant pas un adepte du vélo, que le réseau cyclable s'est le plus développé. Puis ensuite, tant sous Jean Doré que sous Pierre Bourque, on a laissé les nids-de-poule ronger le réseau cyclable. Les cyclistes avaient beau râler, on ne leur servait que des miettes.

Un déclic s'est produit il y a deux ou trois ans, constate Suzanne Lareau, qui milite au sein de Vélo Québec depuis 30 ans. «Je n'en reviens pas du chemin parcouru depuis les deux ou trois dernières années pour faire accepter des choses. Alors que pendant des années et des années avant cela, on a poussé sans jamais rien obtenir.»

Le cycliste urbain n'est plus vu comme un insecte exotique nuisible. Il est désormais socialement acceptable. Le vélo n'est plus vu uniquement sous l'angle du loisir, mais bien comme un moyen de transport à part entière. Et même si on déplore toujours quelques accidents fatals chaque année, le fait est que, malgré l'augmentation du nombre de cyclistes depuis 20 ans, il y a eu une diminution du nombre d'accidents, rappelle Suzanne Lareau. «L'effet de surmédiatisation donne l'impression que c'est l'apocalypse au Québec pour les cyclistes. Ce n'est pas vrai!»

La cohabitation automobilistes-cyclistes demeure encore houleuse, bien sûr. Les uns et les autres s'accusent de mauvaise conduite. Ils ont à la fois raison et tort. Selon une analyse du SPVM portant sur les collisions les plus graves survenues en 2009, la responsabilité en est une partagée. Dans 50% des cas, la faute était celle des automobilistes ayant enfreint le Code de la sécurité routière. Dans 50% des cas, c'étaient les cyclistes qui étaient fautifs.

Malgré les tensions, le changement d'attitude à l'égard du vélo comme mode de transport reste saisissant. Peut-être parce que la congestion automobile est telle qu'il est souvent plus rapide de se déplacer à bicyclette. Suzanne Lareau parle de «pas de géant». «C'est comme si on avait basculé de l'autre bord de la clôture. Pendant des années, on a poussé pour se rendre jusqu'à la clôture. Et là, c'est comme si on déboulait de l'autre bord.»

Depuis l'adoption du Plan de transport en 2008, la ville de Montréal, qui veut doubler son réseau cyclable, a fait des efforts louables. On a notamment ajouté 50 km par année de nouvelles pistes et bandes cyclables, on a réaménagé intelligemment certaines intersections autrefois casse-cou, on a retiré une voie aux voitures sur une portion du chemin Remembrance qui traverse le mont Royal pour l'offrir exclusivement aux cyclistes et aux piétons... Et c'est sans compter l'inauguration l'an dernier du Bixi, premier système de vélos en libre-service à grande échelle en Amérique du Nord. Il compte désormais 400 stations et 5000 vélos. Et il est surtout devenu un nouvel emblème pour Montréal.

La Ville pourrait faire encore mieux, bien sûr. Faute d'entretien, le réseau cyclable vieillissant fait pitié dans bien des quartiers. Et les infrastructures parfois toutes neuves ne sont pas nécessairement les mieux conçues. Suzanne Lareau se dit par exemple très déçue par l'aménagement de la piste Maisonneuve dans le Quartier des spectacles en chantier. «C'est peut-être très design, mais les gens ne comprennent pas qu'il y a là une piste cyclable.»

Une piste cyclable qui n'a pas l'air d'une piste cyclable, c'est un peu comme une semaine sans voitures avec des voitures. Il faudrait peut-être revoir le concept.