«C'est important de dire les vraies choses», disait à la radio le ministre Yves Bolduc, au lendemain de la publication dans La Presse de données sur l'indigestion d'administration dans le réseau de la santé.

Le ministre Bolduc, soudainement sorti de son mutisme, plaide donc que les chiffres rapportés par La Presse mardi sont erronés. Ce sont pourtant des chiffres qui n'étaient pas contestés par son propre ministère la semaine dernière.

Petit rappel des faits pour ceux qui n'ont pas suivi cette tempête de chiffres au royaume du bureaucratisme. Les données embarrassantes tout à coup démenties par le ministre concernent le surencadrement dans le réseau de la santé. Elles ont été compilées par la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ) qui les a publiées ce mois-ci dans son magazine Le spécialiste.

La FMSQ n'est pas, on s'entend, une source d'information tout à fait neutre et objective dans le réseau de la santé. C'est un groupe d'intérêt qui, le nom le dit, défend avant tout ses propres intérêts. Quand ma collègue Ariane Lacoursière et moi sommes tombées sur les données de la FMSQ, notre premier réflexe fut bien sûr d'aller à la source, de les faire contre-vérifier par le ministère de la Santé (MSSS) et d'obtenir les réactions du ministre Bolduc.

J'ai donc appelé au cabinet du ministre de la Santé la semaine dernière avec une demande bien claire. Regardez le tableau publié à la page 35 du magazine Le spécialiste. On y dit, en se basant sur vos propres données, que le nombre de cadres en santé a bondi de 52 % depuis 10 ans. Le personnel administratif aurait crû de 31 %. Et le personnel soignant, de 6 %. Trois questions: Contestez-vous ces données? Comment les expliquez-vous? Et qu'en dit le ministre?

L'attachée de presse du M. Bolduc m'a répondu qu'il s'agissait de questions d'ordre «technique» et «administratif» et que le ministre n'avait pas le temps de nous accorder une entrevue. J'ai plaidé en vain qu'au-delà de l'aspect platement technique de la chose, il y avait là une question que j'ai osé qualifier de «philosophique». Car si ces chiffres disent vrai, que signifient-ils au juste? Quelle est la philosophie de gestion à long terme qui les sous-tend? Y en a-t-il une?

La question philosophique a été ignorée. La question technique a rebondi dans le bureau d'un fonctionnaire placé assez haut dans l'organigramme tentaculaire du MSSS. La direction des communications du Ministère nous a permis, à Ariane et moi, de lui poser des questions, à condition de ne pas le citer.

Qu'a dit le fonctionnaire à propos du tableau de la FMSQ? Bien qu'il n'en ait pas fait la même interprétation que le Dr Gaétan Barrette, le fonctionnaire nous a tout de même dit très clairement que ces chiffres étaient bien connus du Ministère et qu'ils n'avaient rien d'étonnant. De son côté, le ministre Bolduc, que l'on disait trop occupé pour nous répondre, est demeuré muet.

«C'est important de dire les vraies choses», disait mardi le ministre Bolduc qui n'avait pourtant pas dit un mot jusque-là. Son plaidoyer pour la vérité arrive un peu tard. Selon lui, les chiffres sont erronés. Valides la semaine dernière, faux la semaine suivante. Allez y comprendre quelque chose. Les chiffres des bureaucrates de la santé, empêtrés dans des réorganisations qui désorganisent, auraient-ils cette mystérieuse propension à devenir erronés lorsqu'ils sont rendus publics?

Si les chiffres sont erronés comme le dit le ministre, le Ministère lui-même ne le savait pas, ce qui n'est guère rassurant. S'ils sont valides, le ministre lui-même ne le sait pas (ou ne veut pas le savoir), ce qui est tout aussi inquiétant. Qui dirige donc ce ministère? D'une façon comme de l'autre, on a là une magnifique démonstration par l'absurde des problèmes de gestion du réseau de la santé. Et de l'incompétence de celui qui en est officiellement responsable.

Photo: Jeannot Lévesque, Archives Le Quotidien

Le ministre de la Santé, Yves Bolduc.