Alors que la Marche mondiale des femmes vise à dénoncer un certain nombre d'injustices, elle a surtout servi cette semaine à faire le procès de la Fédération des femmes du Québec (FFQ) et des groupes féministes.

La voix des femmes serait-elle mal représentée dans la société? J'ai posé la question à la journaliste Pascale Navarro, qui s'apprête justement à lancer un essai fort intéressant sur les femmes en politique(1). «Je ne crois pas qu'au Québec, on soit mal en point. Pas du tout!» répond l'auteure. Non, la FFQ n'est pas LA voix des femmes, ça va de soi. Elle n'est qu'une voix parmi d'autres. «Mais il y a plein d'autres endroits où les femmes sont représentées.»

Qu'il y ait plusieurs points de vue, qu'il y ait débat, tant mieux, dit Pascale Navarro. Ce qui ne l'empêche pas de critiquer la manière traditionnelle, binaire et moralisatrice dont la FFQ milite.

Dans son livre Les femmes en politique changent-elles le monde?, Pascale Navarro prend bien soin de s'éloigner de cette façon binaire de concevoir la lutte pour l'égalité. Elle revendique le droit de faire des nuances, de rompre avec les vieux clichés de la guerre des sexes. C'est ce qui fait tout l'intérêt de sa réflexion. «Je ne veux pas savoir si c'est bien ou si c'est mal que les femmes soient là. Je veux savoir ce que ça change», dit-elle.

Dans cet essai qui évite la polémique, Pascale Navarro défend néanmoins une idée plus radicale qui appelle au débat: celle de recourir à des quotas pour les femmes en politique. Ironiquement, l'idée rebute la plupart des politiciennes qu'elle a interviewées pour ce livre. «Elles ont toujours peur d'être là parce qu'on leur fait une place artificielle.»

Une peur légitime, non? Quelle femme a envie de se faire dire qu'elle a obtenu un poste pour «remplir» un quota? «Oui, c'est une peur légitime, admet l'essayiste. Mais elle n'est pas fondée à mon avis. Il y a toutes sortes de façons de faire des quotas. On ne dit pas: on va garder 10 places pour les 10 premières femmes qui arrivent! Il faut gagner ses élections. Il faut se défendre, vendre sa salade, montrer que l'on est la meilleure personne pour le poste.»

Les femmes qui craignent les quotas sont souvent celles qui sont arrivées en politique dans les années 80, constate Pascale Navarro. «Elles ont dû faire leur place, montrer qu'elles avaient le guts de faire ce qu'elles font. Et ce n'est pas vrai que tu vas leur faire croire qu'on va leur donner une place artificiellement.»

Le hic, c'est que si on attend que les choses changent naturellement, on peut attendre très, très longtemps. Les quotas et la discrimination positive ont beau être des solutions imparfaites, ils ont beau se fonder parfois sur des principes politiquement corrects étouffants, ils demeurent efficaces pour contrer la discrimination systémique.

En soi, le pouvoir féminin n'existe pas, note Pascale Navarro. Et le féminin, qui reste quelque chose de difficile à cerner, n'appartient pas uniquement aux femmes. Des femmes en possèdent parfois moins que certains hommes. Si l'empathie ou le besoin de faire consensus, par exemple, sont associés au leadership féminin, ils n'ont pas de sexe pour autant.

En même temps, «les femmes ne sont pas des politiciens en jupe». «Il n'y a pas de pouvoir féminin. Mais les femmes changent quand même quelque chose. Parce qu'en étant là, elles transportent, elles charrient avec elles des questions qui les concernent parce qu'elles ont un rôle social féminin.»

Pascale Navarro donne l'exemple de la question des garderies et des congés parentaux. Longtemps considérés comme une «affaire de femmes», ces sujets sont finalement devenus l'affaire de tous. Pas grâce aux femmes, mais bien parce que les femmes sont venues en parler avec des hommes. «C'est très différent. Cette mixité, pour moi, est la clé.»

Les discussions sur le droit des femmes de faire preuve d'ambition sont dépassées. Il faut, croit Pascale Navarro, davantage se demander ce que l'on peut gagner à élire des gouvernements égalitaires. Il faut surtout se demander pourquoi on a tant de mal à recruter des femmes en politique et ce que cela révèle sur la façon même d'exercer le pouvoir.

Le plus souvent, les hommes ne barrent pas le chemin aux femmes, constate Pascale Navarro. Les politiciennes qu'elle a interviewées ont, au contraire, toutes eu des complices masculins qui croyaient en elles. Les raisons qui les éloignent du pouvoir sont plus profondes. «Souvent les femmes sont leurs pires ennemies.»

Pour bien des hommes, la carrière est un tremplin. Il en va autrement pour les femmes qui craignent davantage de négliger leur famille, de perdre leur qualité de vie. «Lorsqu'on les approche pour se présenter en politique, (les hommes) pensent tout de suite à ce qu'ils pourraient en retirer. Nous, nous pensons à ce que nous allons perdre», confiera la députée Véronique Hivon.

«Mais plus que tout, c'est la manière de pratiquer le métier qui les rebute, et non la politique elle-même», souligne Pascale Navarro. «C'est une culture de la bataille qui est difficile pour bien des femmes - mais pas pour toutes! Certaines sont bien capables de le faire.»

Les femmes, même les plus jeunes, craignent encore souvent de ne pas être aimées, d'être rejetées, de semer la discorde. Si «la cruauté peut se faire dans la plus grande courtoisie», comme le dit Louise Harel, toutes ne se sentent pas prêtes à jouer le jeu et à embrasser une culture politique où il ne faut pas afficher son émotivité et ses doutes. «Le gars le moins travaillant, le moins brillant, se prend pour un champion. Alors que la fille qui est une perle, de très haute valeur, se questionne toujours sur ses compétences», dira la sénatrice Céline Hervieux-Payette.

Pour Pascale Navarro, la peur de la confrontation exprimée par plusieurs femmes révèle aussi une différence de valeurs. Une différence qui cadre mal dans le moule politique actuel, qui n'a que peu de reconnaissance pour le «féminin». Mais pourrait-il en être autrement? L'auteure croit que oui. «Dans le fond, ce que j'aimerais, c'est que l'on discute de la façon de faire de la politique et d'exercer le pouvoir. Quelles sont les valeurs que l'on porte quand on entre en politique? Est-ce qu'on peut les garder et les mettre en pratique? Si on perd l'émotivité, la compassion, le goût de la justice, le goût de l'égalité et le sens du bien commun quand on va en politique, n'est-ce pas le signe que nous avons un problème?»

(1) Les femmes en politique changent-elles le monde? Boréal, 2010. En librairie le 19 octobre.

Pour joindre notre chroniqueuse: rima.elkouri@lapresse.ca