On l'a retrouvé dans une ruelle. Une balle dans la tête. Une histoire de trafic de drogue. Il n'avait que 16 ans.

Pour le cinéaste montréalais Jephté Bastien, auteur de ce qu'on présente comme le premier film de fiction québécois sur les gangs de rue, ce fait divers a été la bougie d'allumage. Car ce jeune de 16 ans n'était pas de ces inconnus sans visage dont il aurait pu lire l'histoire en haussant les épaules. C'était son neveu Taylor.

«À sa mort, ma perception des gangs de rue a changé. Moi qui me disais que ce n'était pas mon problème, c'est devenu un problème personnel.»

Le film Sortie 67, qui prend l'affiche vendredi, est né de la colère provoquée par cette tragédie. Une colère qui s'est transformée en désir de secouer l'indifférence des uns et les idées préconçues des autres. On peut être têtu, jouer à l'autruche et continuer à dire: «Ce n'est pas mon problème.» Mais on aurait tort de le faire, avertit avec raison Jephté Bastien. «C'est notre problème parce que c'est notre société. Ce ne sont pas les enfants des autres. Ce sont nos enfants.»

Jephté Bastien n'a pas la prétention de savoir comment régler le problème des gangs de rue. Mais il aimerait, à travers ce film coup-de-poing qu'il a choisi de camper dans la réalité du quartier Saint-Michel, que soient posées des questions qui ne sont que trop rarement posées.

La façon même dont certains médias ont déjà abordé le travail du cinéaste d'origine haïtienne montre en soi la montagne d'idées toutes faites que ce film doit contourner. «Le fait que je fais un film black sur les gangs de rue, on me demande si je faisais partie d'un gang de rue! dit le cinéaste. Si c'était un Québécois de souche qui avait fait le film, je ne crois pas qu'on lui aurait posé cette question.»

Le cinéaste ne glorifie pas la violence des gangs de rue. Il n'essaie pas non plus de faire des jeunes qui y adhèrent des victimes. «Ce qui façonne un homme n'est ni le quartier dans lequel il a grandi ni la façon dont il a commencé sa vie, mais ses choix», dit-il d'emblée dans Sortie 67. Le regard qu'il porte sur la réalité des jeunes de gangs de rue est tout aussi sensible que lucide. Sous sa lentille, les gangs de rue ne sont que le symptôme d'un mal plus profond. Un mal dont on traque les racines en nous faisant suivre le parcours de Ronald, enfant métis de Saint-Michel qui grandit dans la violence. Sa mère est morte, assassinée. Son père est en prison - il est l'assassin. L'enfant est ballotté de foyer d'accueil en foyer d'accueil. Il est recruté par un gang de rue, se perd dans une spirale. Il cherche la sortie.

«Quand on regarde ces quartiers défavorisés, ces jeunes vivent une vie de deuxième main, une vie de tiers-monde, souligne le cinéaste. La pauvreté est à l'origine de leurs problèmes.»

Le film montre des jeunes qui se sentent abandonnés, exclus du système. Peu importe le nombre de diplômes qu'ils peuvent avoir, on les voit juste comme des «nègres», lancera un personnage du film. Un cri du coeur bien senti de la part d'un acteur qui, dans la vraie vie, a deux maîtrises et bien de la difficulté à se trouver du travail.

«Les enfants se disent: "Mes parents me disent d'aller à l'école. Ils ont des diplômes, mais ils ne peuvent pas travailler, ils sont chauffeurs de taxi ou travaillent dans des manufactures!" Ils ne voient pas la lumière au bout du tunnel.»

S'il espère que son film puisse interpeller des jeunes qui voudraient sortir de la spirale, Jephté Bastien fonde en revanche peu d'espoir dans la capacité de changement du système. Il ne voit que peu de lumière au bout de l'enquête Villanueva. «Comme ces jeunes, je n'ai pas confiance dans le système. J'ai été victime du système à quelques reprises.»

Un exemple? Le cinéaste me raconte la fois où son frère et lui, en voiture pour aller rejoindre sa copine, ont été encerclés par trois voitures de police. «Les policiers pointaient leur arme vers nous. C'était comme Miami Vice. Il y avait plein de gens qui regardaient, c'était un spectacle.»

«Vous cherchez qui? Vous cherchez quoi? a demandé Jephté Bastien aux policiers qui l'ont fouillé.

- Il y a un Noir qui a fait un dépanneur. Il portait un T-shirt.

- Moi, je suis en veston et j'ai une chemise ...

- Oui, mais ça ne veut rien dire.»

La scène a duré deux heures. Jephté Bastien a payé pour le gars du dépanneur. «Peu importe qui tu es, t'es un Black, t'es une menace. C'est ça qui cause le profilage racial.»

Plutôt que d'aller à la source du problème, on peut bien sûr se contenter de s'excuser ou d'accuser. À cela, Jephté Bastien aime bien répondre en faisant mine de pointer son interlocuteur avec une arme - pouce en l'air, index accusateur et trois doigts rangés derrière: «Quand on montre des gens du doigt, il y a un doigt pointé vers eux et trois vers nous.»

Photo: André Pichette, La Presse

 Jephté Bastien