Et les mauvais parents, eux? a demandé il y a deux semaines un enseignant dans une lettre publiée dans Le Devoir.

Je me rappelle avoir lu sa lettre enflammée avec beaucoup d'intérêt. Dans tout le débat entourant les enfants en difficulté et la réussite scolaire, «un des grands facteurs qu'on néglige de mentionner, ce sont ces parents qui ne démontrent aucun intérêt pour la réussite de leur enfant et qui ne cessent de remettre en question le travail effectué par l'école», a écrit l'enseignant Luc Papineau en citant des exemples gênants. Il a ainsi mis le doigt sur un problème réel dont on parle trop peu.

«Il serait grand temps que certains parents réalisent - ou qu'on leur fasse réaliser - que l'éducation n'est pas un service mais un privilège, ainsi qu'une obligation sociale et légale. Il serait grand temps qu'on les responsabilise», conclut l'enseignant. J'ai eu envie de le féliciter d'avoir osé dire ce qui n'est jamais dit.

J'ai repensé à cette lettre en entendant Jean Charest faire la leçon aux parents, mardi. Autant j'avais apprécié la réflexion de l'enseignant qui osait s'attaquer à une question taboue, autant la sortie du premier ministre, qui reprenait sans nuances le même discours, m'a semblé déplacée. Une question de ton, de stratégie, de contexte.

Qu'un professeur blâme certains parents qui démissionnent, c'est une chose. Que le premier ministre reprenne ce discours en montrant du doigt tous les parents en est une autre. Une façon efficace de responsabiliser les parents? Non. Quelques jours à peine après le dévoilement de données préoccupantes sur le décrochage, cela ressemble davantage à une stratégie de déresponsabilisation de l'État. Un peu comme si on tentait de camoufler les manquements du système en se contentant de jeter le blâme sur les parents.

Les parents ont aussi leurs torts et leurs responsabilités, ça va de soi. En rappelant qu'ils ont un rôle important à jouer dans l'éducation de leurs enfants, le premier ministre n'a fait qu'énoncer une évidence. Plusieurs études montrent que l'engagement des parents est un facteur très important dans la réussite scolaire.

Au-delà des études, des expériences heureuses de lutte contre le décrochage sont plus éloquentes encore. Songeons à ce qui s'est fait au Saguenay-Lac-Saint-Jean depuis 1996 avec la création du Conseil régional de prévention de l'abandon scolaire de la région (CREPAS). En mobilisant toute la collectivité autour de l'importance de l'éducation, le CREPAS a réussi à faire des miracles que l'on aimerait maintenant exporter dans toutes les régions du Québec. Le taux de décrochage au Saguenay-Lac-Saint-Jean est désormais deux fois moins élevé que dans l'ensemble de la province. Une des stratégies utilisées pour y arriver consiste à demander aux parents de s'intéresser de façon quotidienne aux études de leurs enfants. Le slogan martelé sans cesse par le CREPAS depuis plus de 10 ans? «Chaque jeune a besoin d'encouragements chaque jour.»

Cela dit, si le premier ministre voulait vraiment responsabiliser les parents, il s'y est pris bien maladroitement. Si encore l'État honorait parfaitement sa mission, qui consiste à donner une éducation de qualité à tous les enfants... Ce n'est malheureusement pas le cas. Parlez-en à tous ces parents d'élèves en difficulté, à bout de souffle à force de se battre contre le système pour obtenir des services adéquats. Parlez-en aussi à tous ceux qui n'ont pas les moyens de se battre et dont les enfants finissent par tout abandonner faute de soutien. Parlez-en encore à ceux qui attendent toujours le service amélioré d'aide aux devoirs promis l'an dernier par le ministère de l'Éducation dans le cadre du plan de lutte contre le décrochage lancé en grande pompe. Un an plus tard, combien d'argent au juste a été investi dans ce service «amélioré» ? Zéro dollar. C'est ce qu'on m'a confirmé hier au cabinet de la ministre Line Beauchamp. Comme pour sauver la mise, on a précisé aussitôt que, à la demande générale, on se promet plutôt de participer davantage dans les prochains mois au service Allô prof. Très bien. Mais cela ne change rien au fait que, pour l'heure, depuis cinq ans, le budget de l'aide aux devoirs, désignée pourtant l'an dernier comme une des 13 «voies de réussite» pour réduire les retards d'apprentissage, n'a pas augmenté d'un sou.

Les parents devraient tous les jours veiller aux études de leurs enfants, a dit mardi le premier ministre Charest avant d'ajouter: «Je sais que ça ne se fait pas assez.» Soit. Mais le rôle de l'État est aussi de s'adapter au fait que, par manque de formation, de moyens ou de temps, tous les parents ne sont pas égaux devant les devoirs.

Parents du Québec, allez donc dans votre chambre faire vos devoirs, ordonne pourtant de façon paternaliste le premier ministre. Si le gouvernement pouvait se vanter d'avoir bien fait les siens, le message passerait peut-être un peu mieux.

Pour joindre notre chroniqueuse: rima.elkouri@lapresse.ca