On trouverait sans doute étrange qu'une ambulance laisse un patient sur le bord de la route avant même d'être arrivée à l'hôpital. C'est pourtant ce qui arrive à plusieurs centaines d'Haïtiens à qui Ottawa a délivré des visas temporaires leur permettant de s'établir ici après le séisme. Du jour au lendemain, ils se retrouvent sans statut et sans filet.

«Pourquoi nous a-t-on laissés sur la route? Qu'est-ce que je vais faire?»

Dafney Olivier fait partie de ces sinistrés haïtiens qui se retrouvent dans les limbes d'Immigration Canada. Je l'ai rencontrée hier à la Maison d'Haïti, dans le quartier Saint-Michel. Après le séisme, ses enfants et elle ont pu obtenir un visa temporaire pour venir au Canada. Sa fille de 12 ans, née ici, avait déjà la citoyenneté canadienne. Mais son fils de 7 ans, né aux États-Unis, ne l'a pas.

Dafney est très reconnaissante envers ce pays, qui l'a accueillie alors que tout s'effondrait autour d'elle. Les mesures extraordinaires mises en place par Citoyenneté et Immigration Canada après le séisme lui ont permis de reprendre ici un semblant de vie normale. Elle a obtenu un permis de travail. Elle a trouvé un emploi dans un centre d'appels. Les enfants ont été inscrits à l'école.

Dafney est très reconnaissante mais, aujourd'hui, elle est surtout très inquiète. Son permis de travail arrivera à échéance en mars. Et comme Ottawa a levé les mesures post-séisme le 1er septembre, son semblant de vie normale s'écroule. Fini le renouvellement systématique du permis de travail. Fini la gratuité scolaire. Fini l'assurance maladie offerte par le Programme fédéral de santé intérimaire.»Si mon fils est malade, qu'est-ce que je vais faire?»

Dafney ne peut envisager un retour en Haïti. Elle ne veut pas non plus demeurer sans statut et sans travail ici. Il y a deux mois, elle a payé 700$ pour pouvoir faire une demande de résidence permanente pour motifs humanitaires. Une demande où l'on doit faire valoir que l'on est bien intégré à la société. Mais comment être bien intégré si le renouvellement du permis de travail devient dans les faits une mission quasi impossible?

«On tourne en rond. On ne sait pas où on est», dit Dafney. À ses côtés, Maudeline et Marie José, deux mères haïtiennes qui sont dans la même situation, hochent la tête. «On n'est pas venues ici sur un coup de tête!» dit Maudeline, qui travaille comme préposée aux bénéficiaires. «Du jour au lendemain, on a tout perdu. On nous a aidées, mais il est trop tôt pour nous lâcher!»

Difficile de savoir avec précision combien d'Haïtiens se retrouvent dans le même vide juridique. Selon que l'on s'adresse à Ottawa ou à Québec, les chiffres diffèrent. Après le séisme, Citoyenneté et Immigration Canada dit avoir autorisé l'entrée temporaire d'environ 3000 Haïtiens, soit en leur accordant des visas de résidents temporaires (2500 visas délivrés), soit des permis de séjour temporaire. Au ministère québécois de l'Immigration, on parle plutôt de 1500 personnes.

À la Maison d'Haïti, on voit chaque jour des dizaines de cas aussi tristes les uns que les autres. Pour survivre aux limbes et à la précarité, certaines personnes finiront par faire une demande de statut de réfugié, alors que, pour la plupart, elles ne se qualifient sans doute pas comme réfugiées. Elles sont poussées vers cette voie, qui leur permet de bénéficier d'un filet social en attendant que la demande soit traitée. Une solution de dernier recours absurde, que dénoncent unanimement les organismes qui viennent en aide aux réfugiés et aux immigrés. Loin de régler quoi que ce soit, cette fausse solution ne fera que surcharger inutilement le système de traitement des demandes d'asile déjà bien engorgé.

«Les gens nous disent: c'est le Canada qui est venu nous chercher. Pourquoi on nous laisse tomber?» dit Myriam Coppry, de la Maison d'Haïti, qui croule sous les demandes d'aide. «Ces gens travaillent, ils ne dépendent pas de l'aide sociale. Mais comment vont-ils faire maintenant pour nourrir leurs enfants?»

Citoyenneté et Immigration Canada prévoit-il faire quelque chose pour tous ces Haïtiens qui se retrouvent dans le vide? J'ai posé la question. On m'a envoyé par courriel une longue réponse administrative que je me permets de résumer grossièrement en un seul mot: non.

Au cabinet de la ministre québécoise de l'Immigration, Kathleen Weil, on dit toutefois être en discussion avec le gouvernement fédéral pour trouver une solution. Il reste à souhaiter que ces démarches aboutissent rapidement. Au nom de Dafney et de tous ceux qui, comme elle, tentent de se tenir droits dans le vide.