Depuis que la terre a tremblé en Haïti, Wilingthon Fontaine a l'impression qu'une partie de son coeur est dans un camp de fortune de Port-au-Prince. Sa mère de 64 ans y vit sous une tente. Un an après le séisme, c'est sa salle d'attente. Elle attend le fameux «traitement prioritaire» promis aux sinistrés au lendemain du séisme.

«Chaque fois que je lui parle, elle pleure, me raconte Wilingthon. Son corps ne peut pas prendre toute cette pression. Le tremblement de terre, le cyclone, le choléra... C'est trop».

En reportage à Port-au-Prince, ma collègue Caroline Touzin est allée rendre visite à la mère de Wilingthon (voir texte à gauche).

Wilingthon habite à Laval. Citoyen canadien d'origine haïtienne. Diplômé en administration. Chauffeur de taxi pour gagner sa vie et permettre à ses proches restés en Haïti de survivre. Tous les mois, il leur envoie un colis avec des vivres. Du riz, du lait, des pâtes. Et l'espoir d'avoir un vrai toit, un de ces jours, peut-être.

Quand Québec a annoncé, au mois de février, la mise en place de son propre programme de parrainage humanitaire, Wilingthon, qui avait entrepris des démarches de parrainage cinq ans avant le séisme, a eu un regain d'espoir. En juin, il a réussi à ramener à ses côtés sa fille de 17 ans. Mais pour sa mère, toujours rien. Pourtant, il a englouti une petite fortune pour obtenir et envoyer tous les documents requis, faire les examens médicaux, passer un test d'ADN prouvant la filiation... Immigration Canada dit qu'il lui manque encore les résultats d'un examen médical. Wilingthon jure que le médecin dit avoir tout envoyé par FedEx le 29 octobre 2010. Comme bien des Québécois d'origine haïtienne qui espéraient un réel traitement prioritaire pour leurs proches, il est condamné à attendre, désillusionné.

Même s'il est porté par de bonnes intentions, le programme de parrainage humanitaire mis en place par Québec au lendemain du séisme n'a pas tenu ses promesses. Il demeure un mirage pour la majorité des familles haïtiennes d'ici qui rêvaient de retrouver rapidement leurs proches sinistrés. Plus de 8300 demandes ont été faites. Plus de 3000 certificats de sélection ont été délivrés par Québec. Mais à peine 400 sinistrés ont pu mettre les pieds ici au terme de ces démarches. Les autres attendent, souvent dans des conditions précaires. Ceux qui, comme Wilingthon, avaient entrepris des démarches bien avant le séisme se demandent ce que «traitement prioritaire» peut bien vouloir dire. Les données confuses fournies par Citoyenneté et Immigration Canada ne permettent pas de savoir avec exactitude quelle proportion de demandes faites avant le séisme ont été acceptées. Pour expliquer cette confusion, la porte-parole de CIC me dit que deux boîtes de demandes reçues avant le séisme ont été égarées durant le chaos du séisme et retrouvées au mois d'avril. Rassurant.

«Cela a montré les limites de la possibilité du Québec de créer ce type de programme», note Stephan Reichhold, de la Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes. Québec a beau avoir délivré 3000 certificats de sélection à la vitesse grand V, c'est Ottawa qui a le dernier mot. Et, la plupart du temps, la voie vers une autorisation fédérale semble être semée de crocs-en-jambe administratifs, malgré la promesse d'un traitement prioritaire. On exige des documents parfois très difficiles à retrouver dans le chaos postséisme. «Je connais une femme qui est morte en attendant de réunir les documents nécessaires», a récemment raconté Marjorie Villefranche, de la Maison d'Haïti, à mon collègue Paul Journet.

Malgré les ratés du programme de parrainage, la ministre de l'Immigration, Kathleen Weil, n'hésite pas à le qualifier de «grand succès». Elle souligne le fait que 3300 Haïtiens ont pu venir s'établir au Québec après le séisme, toutes catégories confondues. «C'est 80% de plus que l'année précédente», dit-elle, en insistant sur le fait qu'il ne faut pas se contenter de regarder le bilan de la sous-catégorie du parrainage humanitaire. Bref, le programme est un grand succès surtout si on évite soigneusement de regarder ses ratés.

La ministre Weil assure que le dossier est prioritaire et que ses pourparlers avec le ministre fédéral de l'Immigration, Jason Kenney, ont porté leurs fruits et permis d'accélérer le traitement de certaines demandes. Mais pour ceux qui attendent, comme Wilingthon et des centaines d'autres, cette accélération demeure invisible.

Pourtant, quand il y a une réelle volonté politique, bien des choses officiellement impossibles deviennent possibles. Prenez le cas des enfants adoptés en Haïti. Après le séisme, le gouvernement fédéral, avec la collaboration des provinces, a permis à plus de 200 enfants adoptés d'être réunis rapidement avec leur famille adoptive. Habituellement, les démarches prennent deux ans. Après le séisme, on a réussi à accélérer le traitement pour que tout soit fait en un mois à peine.

Malheureusement, les autres enfants rescapés des décombres n'ont pas eu droit au même traitement. Ce qui fait foi d'une politique de «deux poids, deux mesures» difficile à justifier.

On a beau parler de traitement prioritaire et accéléré, un an après le séisme, le bilan n'a rien de réjouissant pour la majorité des sinistrés. Pour les plus chanceux, l'espoir est distillé au compte-gouttes. Pour les autres, c'est le désenchantement, grand comme l'océan.