On prête toutes sortes de vertus aux réseaux sociaux. Des vertus révolutionnaires 2.0. On parle du soulèvement en Égypte comme d'une révolution Facebook, propagée par Twitter et dont l'icône est un cybermilitant de 30 ans, chef de marketing de Google au Proche-Orient. Il y a là quelque chose d'absolument fascinant.

Cela dit, il faudrait être bien naïf pour croire, enivré par un parfum de jasmin, que les réseaux sociaux ne servent qu'à refaire le monde. En quelques clics, ils peuvent tout aussi bien servir à le défaire. C'est ce que confirme, sans grande surprise, une étude sur l'utilisation des sites de réseautage social à des fins criminelles, que La Presse a obtenue en vertu de la Loi sur l'accès à l'information (lire à ce sujet l'article de ma collègue Catherine Handfield).

L'étude, signée par des chercheurs en criminologie de l'Université de Montréal, a été commandée par le ministère fédéral de la Sécurité publique. Elle s'intéresse à la présence de membres de groupes criminels ou de gangs de rue dans les médias sociaux (le cyberbanging). Si sa conclusion ne surprend guère, elle démonte quand même une croyance fort répandue: contrairement à la légende virtuelle, les organisations criminelles n'utilisent pas les réseaux sociaux expressément pour recruter de nouveaux membres.

Que font-elles alors sur Facebook? Discutent-elles de philatélie ou des vertus de l'allaitement? Non plus. Mais, d'une certaine façon, elles font ce que font bien des utilisateurs de réseaux sociaux: elles se servent de Facebook, Twitter ou MySpace comme d'un outil d'autopromotion qui permet de rejoindre facilement un public plus large. Les réseaux sociaux donnent ainsi l'occasion à des organisations criminelles d'étendre leurs tentacules en interagissant de façon virtuelle avec un nombre croissant de sympathisants - des gens qui n'auraient sans doute jamais croisé ces groupes dans leur vie de tous les jours.

Pas de recrutement à proprement parler, donc. Mais quelque chose de plus subtil et de plus pernicieux - une vitrine qui permet aux gangs de cultiver une certaine image, de promouvoir une certaine culture, de faire connaître leurs activités, d'accroître leur influence, de vanter leurs «exploits», photos violentes et menaçantes à l'appui. Une vitrine qui finit aussi par faciliter le recrutement.

En analysant la présence des gangs de rue sur les sites Twitter, Facebook et MySpace, les chercheurs ont observé que tous les réseaux sociaux n'intéressent pas les organisations criminelles de la même façon. MySpace est le plus populaire auprès des membres de gang de rue les plus jeunes. C'est sur ce site que les membres d'organisations criminelles sont le plus actifs.

Fait intéressant, le réseau Twitter, décrit comme un site relativement nouveau, fréquenté par un public plus âgé et plus «sophistiqué», est boudé par la majorité des gangs de rue, qui ne semblent pas s'y reconnaître. Boudé par la majorité, donc, mais pas par les Hells Angels, qui y sont bien présents. La chose n'a rien d'étonnant pour les chercheurs, compte tenu du fait que les Hells sont légalement constitués en entreprise et que plusieurs de leurs «chapitres» ont une page officielle où les membres peuvent discuter entre eux.

Quant à Facebook, il se révèle plus populaire que Twitter. Là encore, ce sont les Hells Angels qui y volent la vedette, avec près de 15 000 fans ou membres. Suivent loin derrière des gangs comme les Crips, avec quelque 4600 fans, qui y paradent avec des photos de gens armés affichant les couleurs de leur groupe. Quoique inquiétants, ces chiffres doivent être interprétés avec prudence, avertissent les chercheurs. Car rien ne permet de dire que ces milliers de «fans» sont vraiment membres à part entière de tel ou tel gang. La majorité d'entre eux ne sont probablement que des curieux ou des admirateurs.

De quoi peuvent bien discuter les Hells sur Facebook ou Twitter? Pas d'allaitement, non. Ils tentent surtout d'y redorer leur image en se présentant comme un club de motards légitime sans attaches criminelles. «When we do right, nobody remembers. When we do wrong, nobody forgets», dit un de leurs tweets. Refaire l'image d'un groupe criminel en 140 caractères? Pas de retweet pour moi. Je préfère croire à la révolution égyptienne 2.0.