Il y a à la fois quelque chose de réjouissant et d'inquiétant dans ces vidéos faites par des médecins pour réclamer une salle des urgences digne de ce nom à l'hôpital LaSalle.

Réjouissant en effet de voir des médecins prendre eux-mêmes la caméra pour exprimer publiquement leur ras-le-bol en nous proposant sur YouTube une visite guidée de leurs urgences vétustes.

Leurs vidéos(1) ne gagneront certainement pas de prix de cinéma. Mais pour être efficaces, elles sont efficaces.

Regardez ces plafonds pleins de moisissures, nous dit le chef des urgences. Regardez ces locaux exigus où l'intimité n'existe plus et où les germes risquent de voyager sans peine d'un patient à l'autre. Regardez ces tables d'examen en ruine. Regardez cette sortie d'urgence bloquée. Regardez ces toilettes qui doivent aussi servir de vestiaire...

Même si elle est réalisée avec les moyens du bord, la démonstration est convaincante. Le scalpel est dans la plaie, le ministère de la Santé ne peut fermer les yeux ou faire semblant que le dossier n'est pas urgent. Impossible de ne pas voir l'absurdité de la situation et d'y demeurer indifférent.

Les médecins ne demandent pas la lune. Ils ne demandent pas une clinique Mayo futuriste. Ils demandent une salle des urgences qui réponde minimalement aux critères de qualité d'un pays riche en 2011. Est-ce trop demander?

Les urgences de l'hôpital LaSalle n'ont pas été rénovées depuis les années 80. On planifie des rénovations depuis sept ans. Sept ans que l'on fait des pressions pour que le projet avance. En 2009, les médecins avaient cru obtenir du gouvernement la promesse que le projet soit traité avec «célérité». Et puis? Et puis rien.

Les médecins espéraient avoir le feu vert l'été dernier, ce qui aurait pu permettre l'ouverture d'urgences rénovées à l'été 2013. Et puis? Et puis rien. Les saisons ont passé, rien n'a bougé. La salle des urgences est encore plus vétuste. Les médecins attendent toujours. Ils ont écrit des lettres qui sont demeurées sans réponse. Et de plus en plus, ils ont la désagréable impression que l'on ne saisit pas l'urgence de la situation. Mais ne vous inquiétez pas, leur dit-on, nous allons agir avec célérité.

Après sept ans de «célérité», les médecins en ont eu assez. Ils ont donc lancé sur YouTube cette campagne virale qui a le mérite de soumettre au débat public une question qui est tout à fait d'intérêt public. Mais ils n'ont pas pris de gaieté de coeur la décision d'exposer ainsi leurs plaies. C'est un geste de dernier recours. «Que pouvions-nous faire de plus?» demande, découragé, le Dr François Langlais, président du conseil des médecins, dentistes et pharmaciens de l'hôpital LaSalle.

Qu'attend-on de cette campagne YouTube? Le Dr Langlais ne sait pas vraiment: «Je n'ai pas eu de cours là-dessus, en médecine!» Chose certaine, la voie de la patience ne semble pas être la voie de la célérité. Les médecins ont fini par se dire qu'il fallait montrer ce qu'ils voulaient dénoncer. Car si c'est la réalité, pourquoi ne pas la montrer?

Que des médecins en soient arrivés là pour faire bouger la monstrueuse machine bureaucratique qui régit le système de santé en dit long. Au-delà des demandes précises de ces médecins, leur campagne soulève un débat beaucoup plus vaste sur la façon dont sont prises (ou pas) les décisions au ministère de la Santé.

Si Facebook permet de faire la révolution, il est possible que YouTube permette ici, plus modestement, de donner le coup d'envoi à des rénovations urgentes dans un hôpital. Au cabinet du ministre de la Santé, Yves Bolduc, on disait hier que l'annonce d'une décision était imminente. Un hasard, nous dit-on, en précisant que «le processus a suivi son cours normalement» et que, comme le projet n'est ni tout à fait grand ni tout à fait petit, il fallait simplement s'assurer de trouver le «bon processus de suivi».

Serait-il donc normal de devoir attendre sept ans pour faire des rénovations urgentes dans une salle des urgences? Il semble que oui, pour le ministère de la Santé. Plus que toute autre chose, c'est cette «normalité», brillamment illustrée par l'absurde ici, qui inquiète.

(1) On peut les voir sur le site www.urgencelasalle.org. Lire à ce sujet l'article de ma collègue Ariane Lacoursière.